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Cette période de la vie du peintre a donné lieu à certaines allégations que ne justifient en réalité ni l’examen des faits ni le souvenir des sentimens exprimés bien souvent par Ingres lui-même dans ses conversations ou dans ses lettres. Nous ne parlerons pas de la prétendue défaveur que son talent aurait rencontrée dans l’atelier de David : cela n’a en soi qu’une médiocre importance, et d’ailleurs le témoignage d’un contemporain, d’un condisciple[1], ferait au besoin justice de ce qu’on a pu avancer d’erroné à cet égard ; mais ce qu’il semble moins superflu de relever, c’est le double reproche adressé quelquefois à Ingres de n’avoir été d’abord qu’un copiste de David, et plus tard de s’être affranchi jusqu’à l’ingratitude du respect qu’il devait aux enseignemens reçus et à la mémoire de son maître. Étrange ingrat que cet homme qui, à soixante ans d’intervalle, ne parlait encore que les larmes aux yeux « du grand David et de sa grande école, » qui écrivait un jour : « David établit son enseignement sur les principes les plus sévères et les plus purs, » une autre fois, — et au risque même d’exagérer involontairement la justice : — « David a été le seul maître de notre siècle ! » Singulier outrage à la mémoire du peintre des Sabines que la place donnée à celui-ci, dans l’Apothéose d’Homère, à côté des plus grands artistes de tous les temps et de tous les pays, tandis que le vieil et glorieux élève se représentait lui-même sous les traits d’un enfant auprès de son maître, mais au-dessous de lui, presque à ses pieds !

Et quant à cette physionomie impersonnelle qu’aurait eue le talent d’Ingres au début, quant à cette soumission presque servile du disciple jusqu’au jour où, s’éveillant tout à coup à une autre foi, il devait, dit-on, trouver dans l’art italien la condamnation de ses erreurs et dans les Stanze du Vatican son chemin de Damas, — franchement nous ne savons sur quels témoignages se fondent les opinions absolues que l’on a émises à ce sujet. On aurait bien mauvaise grâce sans doute à contester la part considérable qui revient, dans les plus beaux travaux du peintre, à l’influence exercée sur lui par les chefs-d’œuvre des anciens maîtres, par ceux de Raphaël en particulier. Suit-il donc de là qu’il y ait disparate entre les progrès que ces travaux attestent et le caractère des essais antérieurs ? Ne saurait-on au contraire reconnaître partout des inclinations du même ordre, l’expression inégale dans les formes, mais au fond invariablement significative des mêmes qualités, en un mot le développement, sans interruption comme sans équivoque, d’un talent qui, par la seule force de ses instincts, avait su se deviner lui-même et dès les premiers jours trouver sa voie ? Avant de partir

  1. Delécluze. — Louis David et son temps, p. 393.