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permis d’observer des vestiges d’habitations sur pilotis qui semblaient remonter à une haute antiquité. On en retira divers objets qui ne firent que confirmer cette apparence, et M. F. Keller ayant appelé l’attention sur cette découverte, on se mit à explorer d’autres lacs en vue de rechercher s’ils ne contenaient pas de semblables constructions. Les investigations furent bientôt couronnées de succès. Non-seulement un grand nombre de lacs suisses recelaient des habitations lacustres, mais on en découvrit également dans les lacs de la Savoie et de l’Italie septentrionale. Déjà en Irlande on connaissait sous le nom de crannoges des espèces d’îles artificielles d’une construction fort analogue et remontant à l’âge de la pierre. Dans les cités lacustres, les pieux sont ordinairement disposés parallèlement à la rive, mais sans grande régularité. La plate-forme se compose de plusieurs couches croisées de troncs d’arbres et de perches reliées par un entrelacement de branches et cimentées par de l’argile.

L’usage d’établir ainsi des demeures sur pilotis au milieu ou sur le bord des lacs a dû se continuer dans l’Helvétie et les contrées voisines pendant bien des siècles, car les objets qui en ont été retirés appartiennent à des âges fort différens. Tandis que dans les palafittes évidemment les moins anciens on a rencontré des armes et des ustensiles en bronze, même en fer, dans d’autres on n’a découvert que des pierres taillées ou polies et des os travaillés. La forme et le style de ceux-ci rappellent les objets retirés des tourbières et des antiques sépultures de la Scandinavie, de la Belgique, de la Grande-Bretagne et de la France. Seulement la variété des ustensiles et des instrumens est ici plus marquée. Comme les animaux dont les restes étaient enfouis dans les étages de la pierre polie, dans les kjoekkenmoeddings, sous les dolmens, ceux dont la drague a ramené les ossemens du fond des lacs sont identiques aux espèces qui vivent aujourd’hui. C’est l’ours brun, le blaireau, la fouine, la loutre, le loup, le chien, le renard, le chat sauvage, le castor, le sanglier, le porc, la chèvre, le mouton. L’élan, l’aurochs et l’urus sont les seuls mammifères qui ne se rencontrent plus en Helvétie ; mais leur extinction dans les contrées germaniques ne date guère que du commencement de notre ère.

Les palafittes peuvent en conséquence être regardés comme caractérisant aussi dans l’Europe occidentale la dernière phase de l’âge de la pierre, l’époque de la pierre polie ; c’est ce qui explique la présence des métaux dans quelques-unes de ces habitations sur pilotis. Les populations de l’Helvétie continuèrent donc à vivre sur le bord ou au milieu des lacs jusqu’au temps où le bronze leur fut apporté par des nations plus avancées, soit les Étrusques, soit les