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autant de talent et d’ardeur à la tribune que sur le champ de bataille, le plan proposé ne put être sanctionné par un vote définitif.

Au moment où l’armée produit de la législation de 1832, formée dans les guerres d’Afrique, montrait en Crimée le plus éclatant ensemble de vertus guerrières, le législateur de 1855, reprenant une partie de ce système, a établi l’exonération sans y joindre la cotisation; il a créé la caisse de dotation et les primes d’engagement. On ne peut qu’approuver tout ce qui a été fait pour améliorer le sort de nos vieux soldats et faciliter la liquidation des retraites; mais n’y aurait-il pas un autre moyen d’atteindre ce but? Depuis 1793 jusqu’à 1855, tous ceux qui ont touché au recrutement ont été unanimes pour proscrire les primes; ils ont pensé, avec le général Foy, que « la classe modeste des bas officiers de l’ancien régime ne se retrouvait plus en France, » et qu’il n’y avait pas lieu de chercher à la ressusciter par des moyens factices. Les résultats obtenus depuis douze ans leur ont-ils donné tort? — Le remplacement devait disparaître. En ce moment, plus de 56,000 de nos soldats servent à ce titre, sans compter tous ceux qui, figurant parmi les rengagés, sont entrés dans l’armée comme remplaçans, car il ne faut pas oublier que tous les partisans de l’exonération, en frappant les remplaçans d’une réprobation souvent injuste, ont toujours compté, pour assurer le jeu de leur système, que l’appât des primes attirerait et retiendrait dans les rangs ces hommes si sévèrement jugés. — Les appels devaient être réduits. Ils ont varié entre 100 et 140,000 hommes; c’est tout au plus si on les trouve suffisans[1]. — Enfin, et surtout dans la seule année où les armes de la France aient été engagées en Europe, le chiffre des exonérés a été de 42,217 contre 13,713 rengagés. Nous n’insisterons pas sur ce point si grave; nous ne pourrions d’ailleurs rien ajouter à ces lignes que nous avons lues dans le Moniteur du 12 décembre 1866 : « Il peut arriver un jour où la caisse de la dotation ait beaucoup d’argent, et le pays pas assez de soldats. » Il semble difficile de limiter la faculté d’exonération par un second appel au sort; ce serait « retirer la sécurité aux familles sans leur donner la liberté[2]. » Quant à vouloir faire revivre l’ancien système sans abandonner le

  1. L’armée, disait-on encore, sera moralisée. Nous sommes de ceux qui croient que, le mal n’existant pas, il n’y avait pas à chercher de remède, et que l’armée n’avait aucun besoin d’une réforme morale. On ne trouve dans les comptes généraux de l’administration de la justice militaire aucune trace d’améliorations résultant de la loi de 1855. Le rapport des condamnations à l’effectif s’est même plutôt élevé. Il était en 1835 de 1 sur 80; il descendit en 1846 à 1 sur 133, monta en 1851 à 1 sur 81, descendit en 1855 à 1 sur 168, et est remonté en 1865 à 1 sur 101. L’année même où on votait la loi de l’exonération est celle où ce rapport est tombé le plus bas.
  2. Rapport présenté au corps législatif par M. de Belleyme, 1855.