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LA
FILLE DU CHANOINE

Voici dans quelle occasion cette histoire me fut contée par le plus honnête homme de Strasbourg. C’était l’hiver dernier ; nous allions faire en pays badois une de ces battues dont on rapporte un cent de lièvres au moins, sous peine de passer pour bredouille. Celui qui nous donnait cette fête et qui m’y conduisait dans sa voiture était le notaire Philippe-Auguste Riess ; il est mort cette semaine après une agonie de six mois, et la vieille ville démocratique le pleure. Tous ceux qui pensent librement, et il y en a beaucoup dans ce noble coin de la France, recherchaient ses conseils et suivaient ses exemples ; il exerçait amicalement sur ses égaux l’autorité que donne un bon sens infaillible doublé d’une irréprochable vertu. Aucune œuvre de bienfaisance intelligente ne fut entreprise sans son concours : il était l’âme de la digne et patriarcale cité. On ferait une république autrement belle qu’Athènes et Sparte, si l’on pouvait réunir un million d’hommes tels que lui. Ce citoyen de l’âge d’or n’affectait pas de dédaigner le présent ; sa tolérance s’étendait jusqu’aux œuvres de l’art et de la littérature contemporaine. Il allait au théâtre, il lisait tous nos livres, exaltait volontiers, ce qui lui semblait bon, et notait sans aigreur les défaillances publiques et privées.

Comme le rendez-vous de chasse était à deux heures de la ville, nous eûmes le loisir d’échanger bien des idées et de passer bien des gens en revue. Dans sa critique toujours juste et modérée, un seul point me parut contestable. — Votre principal défaut, disait-il, et je m’adresse à tous les romanciers, dramaturges et auteurs comiques d’aujourd’hui, est de n’étudier que des exceptions : le théâtre et le roman ne vivent pas d’autre chose. L’adultère ? exception