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de Schiller ; pourquoi, dirons-nous à notre tour, parmi tant de sujets qui s’offraient au compositeur, aller prendre don Carlos, si ce n’est à cause de la politique ? M. Verdi a vu là une occasion démettre en musique ses aspirations politiques ; c’est évidemment la partition d’un musicien qui se réserve pour des destinées ultérieures, musique d’homme d’état, et qui, par son caractère cosmopolite, indiquerait chez l’auteur, déjà grand-croix des Saints-Maurice et Lazare, des tendances à la diplomatie. Tous les styles, disons mieux, tous les compositeurs contemporains sont représentés dans cette partition, qui produit sur vous l’effet de la chapelle de Saint-George à Windsor, où figurent les bannières des divers chevaliers de la Jarretière. Il y a la stalle de Meyerbeer, la stalle de M. Richard Wagner, les stalles de M. Gounod et de Donizetti. J’ai noté au second acte un morceau charmant d’ailleurs et dit avec une distinction rare par M. Faure, Mmes Gueymard et Marie Sass. Le marquis de Posa vient de remettre à la reine un billet de l’infant, et, pour distraire l’attention de la princesse Éboli, s’amuse à lui parler de la cour de France. Cette conversation finement touchée, évoluant au-dessus d’un orchestre plein de traits d’esprit et de gracieux badinages, a le ton de certains passages de la Favorite. Cela pourrait être tout aussi bien du Donizetti et du meilleur. Un jour, à Milan, un brave homme de docteur italien s’évertuait à me démontrer la supériorité de sa langue sur la nôtre, et, tout en gesticulant beaucoup, me citait naturellement les nombreux dérivatifs qu’un bon radical qui sait son métier doit pouvoir fournir. « Tenez, ajoutait-il avec une emphase comique, prenons pour exemple le mot povero, qui en français veut dire pauvre, et vous allez voir à l’instant tout ce dont il est capable d’accoucher : poverino, poveretto, povereccio, poverone, etc., etc. Che richezza ! » Hélas ! je crains bien que cette prétendue richesse ne soit aussi celle du nouvel ouvrage de M. Verdi, une richesse qui en bon français signifie pauvreté !

Ce ne sera certes pas l’Opéra qui cette fois aura manqué à l’auteur de Don Carlos. Tout ce que chante M. Faure n’a de valeur que parce que c’est lui qui le chante. Je n’en excepte pas même la romancé du quatrième acte, à laquelle l’irrésistible séduction de sa voix et de son talent prête un pathétique absent de l’inspiration musicale. J’ai parlé d’irrésistible séduction, là désormais est le vrai danger pour M. Faure. Le chanteur chez lui est presque sans reproche. Il le sait, et le sait si bien qu’il le sait trop. Bacon a dit peu de science mène au doute, beaucoup de science conduit à la foi. Or M. Faure possède beaucoup de science, et sa foi en lui-même se manifeste par momens sur la scène plus qu’il ne sied. Il caresse sa voix, dorlote ses intonations, se complaît au modelé de sa phrase à ce point qu’il en oublie son personnage. Vous interrogez le marquis de Posa, et c’est le virtuose qui vous répond en arrondissant, le sourire aux lèvres, une délicieuse période à l’italienne. Il se peut aussi que ce laisser-aller n’ait cette fois d’autre cause que la médiocre importance d’un rôle philosophique