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En 1864, M. Brandis a fait, comme inspecteur-général des forêts de l’Inde, la reconnaissance du bassin du Suttledge, immense fleuve qui coule au nord de l’Himalaya et va se jeter dans le Scind, après avoir reçu un grand nombre de tributaires. De constitution granitique et d’une déclivité qui varie de 25 à 45 degrés, les montagnes qui forment la vallée principale et les vallées secondaires sont en partie couvertes de magnifiques forêts, qui tantôt s’étendent le long des rives, tantôt déroulent sur les pentes une large bande de verdure, au-dessus et au-dessous de laquelle on voit percer la roche, entrecoupée çà et là de bouquets de rhododendrons. L’essence dominante de ces forêts est le cèdre déodora, arbre d’un port magnifique et qui atteint jusqu’à 70 mètres de haut et 6 mètres de tour ; on montre aux abords d’un vieux temple, près du village de Kunaï, cinq de ces arbres dont l’un a 11 mètres de tour et les autres de 6 à 8 mètres, et qui ont, dit-on, neuf siècles d’existence. Les forêts de déodoras se rencontrent à une altitude comprise entre 7,000 et 10,000 pieds ; au-delà, elles se mélangent d’autres essences telles que le pinus longifolia, le pinus excelsa, l’yeuse, le cyprès, le chêne et le bouleau ; à 12,000 pieds, toute végétation arborescente cesse. Comme toutes les forêts de l’Inde, celles-ci sont exposées aux dévastations des natifs, qui tantôt y mettent le feu pour cultiver le sol, tantôt mutilent les arbres pour leurs besoins les plus vulgaires. Il arrive fréquemment par exemple qu’ils coupent la pousse terminale des jeunes cèdres pour en faire des lattes et des treillages, les pousses latérales se redressent alors et forment une nouvelle cime qui fait l’effet d’un bouquet d’arbres plantés sur un tronc de 8 à 10 pieds de haut. D’autres, fois l’élagage des branches, qu’on utilise en guise de litière pour les bestiaux, réduit les arbres à l’état de simples perches, pourvues au sommet d’une légère touffe de verdure. Bien que le bois du déodora passe pour incorruptible, et qu’en raison des dimensions de ce végétal il soit possible d’en tirer des pièces de charpente de premier ordre, ces forêts sont restées longtemps inexploitées, et ce n’est guère qu’en 1859 qu’elles ont été l’objet de concessions régulières. Depuis cette époque jusqu’en 1863, 30,000 pieds d’arbres environ ont été abattus ; encore un grand nombre d’entre eux sont-ils restés sur place faute de pouvoir être enlevés, ou se sont-ils brisés en glissant le long des pentes avant d’arriver au fleuve. Comme il n’y a pas d’autre moyen de transport, on a dû transformer les ravins en glissoirs et faire sauter les roches qui encombraient le lit des eaux pour donner passage aux pièces de bois. M. Brandis divise ces forêts en deux classes, celles qui par leur situation sont dès aujourd’hui exploitables, et celles qui sont situées