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informés prétendent que les ouvriers de la Grande-Bretagne gagnent dans leur ensemble la somme incroyable de 10 milliards de francs par an. Dans les villes du moins, on peut affirmer que les trade’s unions embrassent la presque totalité des ouvriers. Ils ont leurs représentans, leurs chefs, et ils sont soumis à un pouvoir central qu’ils appellent l’executif. Ce n’est pas seulement pour le plaisir de connaître les règlemens de ces associations, qu’on dit très singuliers, qu’une commission d’enquête vient d’être instituée. Le désir de savoir si véritablement, comme on l’affirme, il est défendu aux maçons en briques (the brick masons), par exemple, de porter à la fois des choses différentes dans les deux mains, de crainte de faire avancer trop vite le travail, n’aurait jamais amené le parlement à intervenir dans une affaire si intimement liée avec le droit d’association, droit que l’on considère comme une des bases fondamentales des libertés de l’Angleterre. Ce sont les grèves (strikes) si multipliées et si nuisibles au libre développement de l’industrie, ce sont les interdits jetés sur les établissemens où l’on essaierait d’employer des ouvriers n’appartenant pas aux unions, ce sont les moyens d’intimidation dont on use envers les récalcitrans, c’est ce gouvernement souterrain dont les effets se font sentir partout sans qu’on puisse le saisir nulle part, ce sont ces crimes mystérieux pour lesquels Sheffield est devenu si tristement célèbre, c’est enfin la tyrannie du grand nombre et de la force brutale exercée sans contrôle et sans appel, — c’est tout cela qui a porté le parlement à ordonner une enquête qui naturellement déplaît aux unions et excite leurs alarmes.

On sait comment les grèves s’organisent. Lorsque des ouvriers faisant un même métier croient avoir le droit de réclamer une augmentation de paie ou une diminution dans les heures de travail, ils formulent leurs griefs, et si leurs demandes ne sont pas accueillies, ils cessent simultanément leurs travaux, parfois sur toute l’étendue de l’Angleterre, mettant en interdit les ateliers qu’ils viennent d’abandonner, et cherchant par tous les moyens à empêcher que d’autres ouvriers ne prennent leur place. S’ils étaient livrés à eux-mêmes, s’ils ne recevaient pas de secours étrangers, la misère les forcerait bientôt à reprendre les instrumens de leur travail ; mais si ces ouvriers appartiennent, comme il arrive le plus souvent, aux trade’s unions, les autres métiers examinent leurs griefs et les discutent dans des réunions qu’ils appellent en toutes lettres leur parlement. A la suite de différentes délibérations prises en assemblée générale dans les grands centres de population, en remontant d’échelon en échelon par des délégués jusqu’au pouvoir exécutif, on finit par décider si la grève de tel ou tel métier recevra, oui ou non, l’appui des unions. Les secours que peuvent