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distribuer celles-ci par le moyen de petites retenues individuelles permettent aux ouvriers que les unions prennent sous leur protection de prolonger la grève, et par conséquent de vivre dans une oisiveté qui est nécessairement une source de misère et de démoralisation. C’est un long duel entre les ouvriers et les maîtres, pendant lequel les combattans se regardent dans le blanc des yeux pour savoir qui mourra de faim le premier. Ces grèves, dirigées par des mains occultes, éclatent au moment où l’on s’y attend le moins, et prennent parfois des dimensions vraiment formidables. Ces jours derniers, l’Angleterre a vu les premiers effets d’un chômage qui n’a duré qu’un seul jour, mais qu’on dit devoir se reproduire ; s’il avait continué à se propager de proche en proche, il aurait arrêté le mouvement sur tous les chemins de fer à la fois. On conçoit quel est le danger, ne fût-ce qu’au point de vue économique, d’un état de choses qui fait perdre chaque année des sommes énormes à un pays vivant principalement sur la rapidité du travail et sur le roulement des capitaux. Et pourtant la perte du travail et la stérilité du capital ne constituent qu’une faible portion du mal que font les grèves. La dégradation d’ouvriers s’accoutumant à vivre sans travailler du produit des aumônes qu’ils reçoivent de ceux qui travaillent, les sentimens d’animosité, de haine violente même, qui en résultent entre les ouvriers et les maîtres, deux classes qui auraient besoin de vivre en parfaite harmonie, en sont des conséquences encore plus funestes.

Ce n’est pas seulement sous le rapport économique et moral que les trade’s unions exercent une action si considérable sur la société anglaise. Le plus grand danger de la crise actuelle est peut-être dans le caractère politique qu’elles ont pris dernièrement. L’autre jour, le président de la Reform league, M. Beales, en se présentant à la commission d’enquête instituée à propos de ces associations, a déclaré purement et simplement qu’il était délégué par huit cent mille hommes ! Et cette assertion, reproduite par tous les journaux, n’a provoqué aucune surprise. Si c’était une armée de soldats, il y aurait peu d’espoir de la vaincre en bataille, pourtant on pourrait essayer ; mais que dire de huit cent mille hommes contre lesquels on ne peut employer aucune arme, aucune force légale, et qui en général ne sont guère assez éclairés pour comprendre d’autre argument que celui du nombre ? Au XVIIe siècle, Pascal disait : il a quatre valets. Que dirait-il aujourd’hui, s’il voyait huit cent mille unionistes réclamer la réforme électorale ?

Il est plus facile de trouver des capucins que des raisons, a dit aussi l’auteur des Provinciales. L’avenir montrera si les résolutions prises aujourd’hui dans Trafalgar-Square par une majorité d’ouvriers sont plus raisonnables que celles que prenait, à la