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druplé. Si nous devons un jour avoir à la fois abondance et bon marché avec une population croissante, ce sera un grand bienfait de la Providence, mais qui ne s’est pas encore vu.

La dix-neuvième maxime réfute cette opinion, que le bon marché des denrées profite dans tous les cas à la population laborieuse. Le bon marché est le premier des biens quand il est obtenu par la réduction des prix de revient ; mais, lorsque le producteur ne gagne pas, l’avilissement du prix comprime la production et par conséquent réduit le travail. Cette préoccupation fort légitime se montre surtout dans la maxime suivante, où Quesnay s’élève contre cette odieuse thèse, fort répandue de son temps, qu’il faut que le paysan soit pauvre pour l’empêcher d’être paresseux et insolent, prétexte barbare de toutes les exactions et de toutes les tyrannies.

« 21. — Que les propriétaires et ceux qui exercent des professions lucratives ne se livrent pas à des épargnes stériles qui retrancheraient de la circulation et de la distribution une partie de leurs revenus.

« 22. — Qu’on ne provoque point le luxe de décoration au préjudice des dépenses d’exploitation et d’amélioration de l’agriculture et des dépenses de consommation de subsistance, qui entretiennent le bon prix et le débit des denrées du cru et la reproduction des revenus de la nation. »

Ici se présente d’abord une distinction fort juste entre les épargnes productives et les épargnes stériles ; les unes sont la source des capitaux, les autres ne sont que thésaurisation et enfouissement, car l’avarice est improductive. Après avoir ainsi marqué le véritable caractère de l’épargne, Quesnay condamne l’excès opposé, qu’il appelle le luxe de décoration. C’est une question encore controversée que celle du luxe, parce qu’on ne s’est pas mis d’accord sur le sens du mot ; mais ce qu’en dit Quesnay ne saurait faire aucun doute. Qu’on ne provoque point le luxe de décoration aux dépens de l’agriculture, tels sont les termes qui trouvaient de son temps une exacte application. Tout le produit des impôts affluait dans la capitale, tant par les dépenses du trésor royal que par celles des financiers enrichis, et il n’en revenait rien au pauvre peuple qui les avait payés. S’il est difficile et même impossible de tracer une ligne précise de démarcation entre les dépenses de luxe et les dépenses légitimes, il ne l’est pas de distinguer entre la bonne et la mauvaise distribution des recettes publiques. Si les impôts somptuaires sont inutiles et même injustes, les impôts au profit du luxe sont plus injustes et plus nuisibles encore. Après avoir réprouvé le mauvais emploi des deniers publics, Quesnay et ses disciples prêchaient, dans l’administration des fortunes privées, la préférence donnée