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aux dépenses productives sur les dépenses de simple jouissance, et dans la mesure d’un simple conseil ils avaient raison. Quand même ils auraient été trop loin dans cette voie, on devrait le leur pardonner, car les institutions et les mœurs poussaient fortement en sens contraire.

« 23 — Que la nation ne souffre pas de perte dans son commerce réciproque avec l’étranger, quand même ce commerce serait profitable aux commerçans ; car alors l’accroissement des fortunes des commerçans ferait dans la circulation des revenus un retranchement préjudiciable à la distribution et à la reproduction.

« 24. — Qu’on ne soit pas trompé par un avantage apparent du commerce réciproque avec l’étranger en jugeant simplement par la balance des sommes en argent, sans examiner le plus ou le moins de profit qui résulte des marchandises que l’on a vendues et de celles que l’on a achetées, car souvent la perte est pour la nation qui reçoit un surplus en argent.

« 25. — Qu’on maintienne l’entière liberté du commerce, car la police du commerce intérieur et extérieur la plus sûre, la plus exacte, la plus profitable à la nation et à l’état consiste dans la pleine liberté de la concurrence. »

Entière liberté du commerce, tel est le principe qui allait devenir, de la part de Quesnay et de ses amis, l’objet d’une prédication ardente et continue ; tel est le cri qui, parti de France et malheureusement étouffé par nos révolutions, a fini par nous revenir d’Angleterre, et que nous voyons en train de faire le tour du monde. Quesnay n’est pas précisément le premier qui ait professé cette doctrine. Il suffit de citer dès le XVIe siècle Bodin, et dans les dernières années de Louis XIV Fénelon et Boisguilbert. « Surtout, disait à Télémaque le sage Narbal, n’entreprenez jamais de gêner le commerce pour le soumettre à vos vues. Il faut que le prince ne s’en mêle point de peur de le gêner. Le commerce est comme certaines sources : si vous voulez détourner leur cours, vous les faites tarir. » La même idée se reproduit dans la description de Salente. « Le commerce de cette place était semblable au flux et au reflux de la mer ; les trésors y entraient comme les flots viennent l’un sur l’autre. Tout y était apporté et tout en sortait librement. Tout ce qui entrait était utile, tout ce qui sortait laissait en sortant d’autres richesses à la place. » Après Fénelon et Boisguilbert, Vincent de Gournay, qui remplissait les hautes fonctions d’intendant-général du commerce, avait appris par la pratique des affaires à conclure comme eux, et c’est de lui qu’est, dit-on, la fameuse formule laissez faire, laissez passer ; mais, si une idée appartient surtout à celui qui a le plus fait pour son triomphe, c’est à Quesnay qu’en revient l’honneur.