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les ombrages du parti libéral. M. de Bismark s’est trouvé tout à coup en plein orage, aux prises avec la fierté du roi, l’orgueil de l’armée, la fièvre d’un esprit de nationalité ivre d’ambition.

Le gouvernement français s’est trompé, lui aussi, l’événement l’a prouvé, en entamant l’affaire par cette négociation détournée avec le roi de Hollande, négociation dont le gouvernement néerlandais soutient qu’il n’a point pris lui-même l’initiative, et qui, suivant le témoignage de M. de Zuylen, aurait été conduite par des agens non accrédités. Au nom de la France, il fallait aussi aller droit au fait simple et essentiel, l’évacuation de la forteresse de Luxembourg, et il y avait à parler à la Prusse avec une droiture amicale et patiente. Les tâtonnemens et l’ambiguïté de la transaction qu’on a essayée ont donné à la politique de la France une couleur de vues intéressées qui n’étaient point en proportion avec l’objet poursuivi, et qui tendaient à diminuer la valeur de notre cause aux yeux de l’Europe. Acquérir une province moyennant une faible compensation pécuniaire, c’était une petite chose ; demander la cessation d’une occupation établie en défiance de la France par des traités frappés aujourd’hui de déchéance par les révolutions intérieures de l’Allemagne, c’était au contraire une chose digne et grande. Il y a eu maladresse à mêler des intérêts de partis si différens, à éclipser la grande chose par la petite. En agissant ainsi, on est arrivé à un résultat fâcheux ; on a placé à la fois la France et la Prusse dans des positions fausses. Mise au jour par la lettre du roi de Hollande au roi de Prusse, la question éclatait, se développait, s’envenimait dans l’opinion publique, dans les polémiques de la presse, dans la fermentation des parlemens. Quant aux diplomaties régulières de la France et de la Prusse, elles n’avaient plus rien à se dire ; elles gardaient un silence menaçant et qui n’était point pourtant sans un reste de prudence, car le jour où elles fussent sorties de cette réserve, elles n’eussent pu s’adresser l’une à l’autre que ces paroles sommaires et décisives où se heurtent l’orgueil et l’honneur des grandes nations, et qui ne sont que le prélude et le signal du choc des armées. Toute l’Europe a eu pendant quelques jours la sensation froide et frissonnante de ce silence morne ; on suivait, on calculait l’entraînement muet qui nous menait à la guerre. C’est l’horreur grandiose de cette sensation, nous ne craignons point de le dire, qui a produit la réaction subite de raison, de probité et de sentimens humains à laquelle nous sommes redevables des efforts pacifiques dont il nous est enfin permis d’espérer le succès.

Ni la France ni la Prusse n’avaient le pouvoir ou la volonté de faire l’une vers l’autre le premier pas. Un doute s’élevait. Il y avait autrefois en Europe une sorte d’arbitrage mobile constitué par l’accord des diverses puissances, et dont l’application et l’influence prévenaient les conflits internationaux. Cette intervention tutélaire ferait-elle défaut dans les circonstances présentes ? L’expérience des dernières années n’encourageait