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intérêts économiques des sociétés modernes pour ne point comprendre que les Anglais, comme peuple producteur et commerçant, ont plus de motifs que tout autre de redouter et, si cela leur est possible, de prévenir les perturbations financières et industrielles que produisent les guerres continentales. Nul peuple, à notre époque, n’est désintéressé des pertes que subissent les nations ravagées par la guerre. L’Europe tout entière a pu s’en convaincre par le contre-coup de la guerre civile des États-Unis ; la France en a fait, l’épreuve l’année dernière lorsqu’elle a subi, en dépit de sa neutralité attentive, la violente dépréciation de ses valeurs. Une contagion instantanée, dont aucune frontière de terre ou de mer n’arrête l’impétuosité invincible, fait sentir les maux des grandes guerres même aux peuples demeurés en paix par le trouble que ces guerres apportent dans la production et la consommation, par la destruction de capital qu’elles entraînent, par la baisse des fonds publics qu’elles provoquent, par les défiances et la réserve qui paralysent l’esprit d’entreprise. À ce point de vue, l’Angleterre du libre échange et des traités de commerce ne saurait être invulnérable à une lutte à outrance des deux plus grandes nations du continent. L’Angleterre politique ne pourrait point assister sans souci à une pareille prise d’armes. La guerre mûrit certaines questions avec une rapidité effrayante ; elle improvise des combinaisons politiques qui, même lorsqu’elles n’ont point les conditions intrinsèques de la durée, imposent à ceux qu’elles viennent surprendre des résistances douloureuses et coûteuses. Un homme d’état anglais à notre époque ne pourrait point rester longtemps témoin impartial et indifférent à un choc de l’Allemagne et de la France. Qui peut prévoir les ambitions et les emportemens que les vicissitudes de la guerre inspireraient à des belligérans de cette force ? Qui pourrait dire où les pousserait l’énorme roulis des batailles ? Ne pourrait-il point arriver qu’après les hasards et à la fin de cette lutte la France se trouvât maîtresse de la Belgique, et l’Allemagne, maîtresse de la Hollande ? Quand une conflagration européenne ouvre issue à de telles possibilités, un homme d’état chargé des destinées extérieures de l’Angleterre peut-il s’endormir dans une flegmatique oisiveté ? Nous ne sommes point surpris que des hommes du rang intellectuel de lord Derby, de M. Disraeli et de lord Stanley n’aient point voulu abaisser leur pays à cette inertie. Ils ont pris à cœur l’intérêt de la paix, et ils ont donné une preuve remarquable chez des ministres anglais de la sincérité et de la vigueur de leur zèle. On sait combien les cabinets et les partis en Angleterre, malgré le cérémonial respectueux, pittoresque et tendre dont ils entourent la royauté, répugnent et résistent à l’intervention personnelle du souverain dans les actes de la politique. Cette fois la gravité des circonstances a fait fléchir ces ombrages. Lord Stanley et ses collègues ont invoqué le concours de la reine et s’en sont couverts. La reine Victoria s’est faite auprès du roi de Prusse l’invocatrice de la paix dans une lettre où les idées élevées s’associent aux