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différences qui existent entre lui et Keats sont déjà connues ; la principale est celle qui sépare la douceur de l’emportement du sang. Keats, malgré son paganisme riche et touffu, serait en grand danger d’être relégué par M. Swinburne au nombre des pastoraux. Et en effet, quand on les compare, les vers de l’un ont la grâce effarouchée des jeunes biches, et on ne peut s’empêcher de se représenter les vers de l’autre comme au fond des bois des cerfs amoureux qui luttent et s’éventrent dans leurs fureurs. André Chénier nous a servi à montrer sur quels points le premier n’était pas grec ; il pourrait aisément servir à prouver que M. Swinburne est un grec outré.

Son Laus Veneris n’est autre que la légende romantique du Tannhäuser, mais en quelque sorte retournée et devenue l’hymne païen de la déesse de beauté. Dans le Tannhäuser, Vénus est une transformation diabolique de la belle Aphrodite. Déchue de la divinité comme les autres habitans de l’Olympe, elle s’est réfugiée dans une grotte obscure, et elle y retient son chevalier, son aveugle amant, qui ne voit pas percer sous son masque de beauté la laideur démoniaque. La déesse reprend ses droits dans le poète anglais, comme elle le fait dans plus d’un poète allemand. Elle est en exil et attend le jour où elle doit remonter sur ses autels. Jusqu’ici, rien qui puisse nous étonner ; le poète anglais est païen comme Henri Heine, qu’il doit avoir beaucoup lu et dont il se souvient, avec cette différence pourtant que le scepticisme d’Heine est un correctif à ses boutades mythologiques. C’est quelque chose de fort païen et de tout à fait grec que la religion de Vénus. Cependant n’est-ce pas un grec bien outré celui qui fait de la fille de Dioné, « ce plaisir des dieux et des hommes, » selon Lucrèce, une divinité qui brûle et qui met à mort, « qui étouffe de ses mains et qui étrangle avec les nœuds de sa chevelure » le mortel qu’elle a séduit. Le paganisme était plus riant, et M. Swinburne à Athènes aurait passé pour un fanatique.

La remarquable pièce de Phœdra n’est pas moins excessive. Certes la fille de Pasiphaé n’avait pas reçu avec le sang de sa mère la pudeur. Selon Racine, « c’est Vénus tout entière à sa proie attachée ; » mais la Phèdre d’Euripide, qui est la véritable, si elle n’est pas chaste, est innocente. Elle se donne la mort dès qu’elle a vu clair dans son âme. La Phèdre de M. Swinburne ne fait pas de la mort son châtiment, elle en fait ses délices. Mêlant à la passion de l’amour les images de sang, elle veut mourir de la main d’Hippolyte ; elle implore de lui le coup de la mort avec une soif du trépas qui est encore de l’amour. Elle savoure avec volupté la pensée de la blessure profonde, elle montre la place où il faut frapper, elle supplie, elle saisit les mains d’Hippolyte, elle embrasse ses