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avec l’écume du présent qu’emporte la marée descendante du passé. C’est là, de l’autre côté des barrières de cette mer des choses, entre les portes de cet océan, où un désert d’eau pousse ses vagues, où de grands navires sont engloutis au fond, où un abîme de mort attend, c’est là que, puissant et profond, rempli de choses inexprimables, c’est là qu’avec ses yeux d’écume, ses nageoires empoisonnées, ses dents de requin, sa chevelure de serpent, s’écoule éternellement, sous le vent blanchissant de l’avenir le flot infatigable du monde. Le sel de sa vague se compose des pleurs des hommes ; il emporte l’éclair de la destruction, le fracas des chutes, le battement des années, l’angoisse du jour qui succède au jour, le trouble de l’heure qui succède à l’heure. Et les gouttes en sont amères comme le sang, et la crête des vagues est comme une griffe qui mord, et la vapeur en est comme le gémissement des esprits qui ne sont pas encore, et le bruit comme celui qu’on entend dans un rêve. Retiendrez-vous avec des rênes cette mer profonde ? Châtierez-vous cette haute mer avec des verges ? La prendrez-vous pour l’enchaîner, elle qui est plus ancienne que vous tous, ô dieux ! Tous vous passerez comme un vent, comme un feu vous passerez et ne serez plus. Vous êtes des dieux et vous mourrez, et ces vagues à la fin couvriront vos têtes ! »


Assez de ces déclamations étincelantes contre les lois de la vie humaine ! Assez de ce lyrisme ennemi des dieux ! Il est temps de prendre congé de M. Swinburne et du paganisme anglais. Je reconnais que ce volume, aussi bien que les précédons, tranche singulièrement sur les œuvres de la poésie anglaise contemporaine, et que M. Swinburne a pleinement réussi dans son dessein de fuir la pastorale. Je reconnais encore qu’il a toute espèce de raison pour demander un auditoire à part et pour récuser le jugement des jeunes filles ; mais nous a-t-il au moins donné l’aliment viril qu’il nous promettait ? car il ne suffit pas de répéter avec un poète de notre temps :


..... J’en préviens les mères de familles,
Ce que j’écris n’est pas pour les petites filles
Dont on coupe le pain en tartines ; mes vers
Sont des vers de jeune homme.


Il faut de mâles pensées, et je ne crois pas que la révolte perpétuelle contre la loi morale en soit une. On peut manquer de virilité non-seulement en se laissant accabler par le sort, mais encore en recommençant à tout propos contre lui de stériles rébellions. Je ne crois pas non plus que le joug des sens, si exclusif, si complet, soit la source des mâles accens, et c’est une étrange marque de courage que de. verser toujours des larmes et de pousser des cris au pied des autels de Vénus. C’est au moins ce que l’on rencontre à toutes les pages du dernier volume de l’auteur. M. Swinburne n’a pas