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des villes quelques pratiques extérieures du Coran ; mais ce ne sont que des imitations machinales : la plupart des Bédouins conservent l’idolâtrie des premiers âges, ne connaissent d’autre Dieu que le soleil, qu’ils honorent le matin d’une courte prière psalmodiée, sans cérémonie aucune, à dos de chameau. Quant aux pèlerinages, la seule part, qu’ils y prennent, dit plaisamment M. Palgrave, consiste à piller les pieuses caravanes qui se rendent à La Mecque. Voilà pour les Bédouins. Le chameau n’est pas mieux traité. C’est un animal stupide, maladroit, haineux, digne en tout point de celui qui le monte. Bédouin et chameau ne font qu’un. Ces descriptions peu flatteuses ne s’accordent guère, il faut en convenir, avec les peintures idylliques qui sont appendues dans tous nos musées, et dans lesquelles on nous montre sans cesse des Bédouins en prière, des chameaux à l’air candide et honnête, et sur le second plan de longs troupeaux qui broutent paisiblement l’herbe rare de l’oasis ! M. Palgrave est sans pitié pour cette poésie orientale. On ne saurait contester son expérience ni sa sincérité. C’est qu’il en est du désert comme de bien d’autres choses : pas trop n’en faut. Quelques heures de désert peuvent n’être pas sans agrément ; de longs jours au milieu des sables, sans sommeil, sans vivres, sans eau, avec la crainte perpétuelle de fâcheuses rencontres et avec une violente attaque du simoun, ne doivent laisser qu’un souvenir de souffrances insupportables. Le corps le plus robuste et l’esprit le mieux trempé ne résistent pas à cette trop forte dose de pittoresque et de couleur locale. On se lasse de la vue des sables, de la compagnie des Bédouins et des chameaux ; on veut des arbres, des maisons, des êtres qui aient réellement la forme humaine, et, après tant de privations, la perspective d’un bon lit et d’un bon repas. Aussi est-ce avec enthousiasme que M. Palgrave aperçoit à l’horizon la capitale de Djouf. Il entrerait dans Paris par l’Arc-de-Triomphe qu’il ne serait pas plus émerveillé. Voici les palmiers touffus, les beaux arbres à fruits, des maisons qui lui paraissent être des édifices, une vieille tour qu’il qualifie de donjon féodal ; ce soleil, brûlant tout à l’heure, verse autour de lui sa lumière resplendissante. Deux Arabes s’avancent à sa rencontre : ils sont magnifiquement vêtus, montés sur des chevaux superbes, aux jambes fines et nerveuses ; ils souhaitent la bienvenue, ils offrent des dattes fraîches, de l’eau pure puisée à une source limpide ; ce sont des bienfaiteurs ! Oui certes, le désert porte à la poésie, quand on le quitte, et le voyageur, épuisé, affamé, altéré, retrouve, lui aussi, l’accent lyrique, quand il franchit de nouveau les confins de la vie civilisée. Dès son entrée à Djouf, M. Palgrave devient poète : on le serait à moins.

La vallée de Djouf est une grande oasis de soixante-dix milles