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de long sur dix à douze milles de large, entre le désert septentrional qui la sépare de la Syrie, que M. Palgrave vient de traverser, et le désert méridional qui s’étend jusqu’au Djebel-Shomer, région centrale de l’Arabie. Son nom, qui en arabe signifie entrailles, traduit exactement la position qu’elle occupe, et qui lui assigne un rôle commercial très important. Sa population peut s’élever à quarante mille âmes, répartie entre une douzaine de villes ou plutôt de villages. La plus considérable de ces agglomérations forme la ville de Djouf, capitale de la province, qui autrefois était indépendante et qui aujourd’hui est vassale du Djebel-Shomer. La population est musulmane, mais d’une foi très tolérante. M. Palgrave et son compagnon purent, sans inconvénient, s’y avouer chrétiens. Ils se firent passer pour des marchands de Syrie venus pour échanger leur pacotille qu’avaient respectée par miracle les Bédouins du désert. Ils restèrent à Djouf une quinzaine de jours, fêtés, courtisés par les principaux habitans, reçus en audience solennelle par le gouverneur, ayant à se défendre quelquefois contre les avides convoitises de leurs hôtes, qui auraient bien voulu leur acheter à vil prix leurs marchandises, mais résistant avec une âpreté calculée pour n’être pas obligés de se défaire, dès la première étape, de toute leur cargaison. M. Palgrave ne jugea point qu’il fût à propos d’afficher publiquement sa science médicale. Il réserva son bonnet de docteur pour une meilleure occasion et pour des malades plus distingués. Lui-même d’ailleurs avait la fièvre, et dans le triste état où il se trouvait il eût risqué de ne point inspirer une grande confiance aux Arabes, qui n’auraient pas compris qu’un bon médecin ne fût pas toujours en parfaite santé.

Djouf se compose d’une suite de plusieurs villages, dont le plus important compte environ quatre cents maisons. Chaque famille a son habitation. A côté des masures basses et étroites occupées par la classe pauvre s’élèvent des maisons assez comfortables, ayant en général deux cours et entourées de jardins. Elles sont habitées par les négocians et par la noblesse, car il y a à Djouf, comme dans tout pays arabe, une caste aristocratique qui prétend descendre plus ou moins directement du prophète, et qui a su conserver, avec le privilège du commandement héréditaire, une opulence au moins relative. On remarque fréquemment auprès des maisons de hautes tours avec poternes et meurtrières dont la construction en briques remonte à une haute antiquité. Ces tours tombent pour la plupart en ruine : elles servaient autrefois de lieux de refuge pendant les guerres civiles. Les seigneurs arabes s’y enfermaient soit pour repousser les attaques d’un puissant voisin, soit pour y préparer leurs incursions dans les campagnes environnantes, qu’ils pillaient et saccageaient périodiquement. Nos barons féodaux embusqués dans