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leurs forteresses n’en faisaient point d’autres, et il est vraiment curieux de retrouver au cœur de l’Arabie la trace d’institutions et de mœurs analogues à celles qui, vers la même époque, existaient en Europe. Les phases par lesquelles la civilisation a passé pour se dégager de la barbarie sont identiques chez tous les peuples. Chaque région a eu son moyen âge, attesté par les mêmes monumens. Si les tours de Djouf pouvaient nous dire leur histoire et celle de leurs hôtes, elles ne feraient que répéter ce que nous rappellent les châteaux et les donjons dont les ruines se dressent encore sur les crêtes de nos montagnes, ou dominent le cours des fleuves. En Arabie comme en Europe, l’ordre et la paix ont démantelé ces forteresses, devenues inutiles, qui ne sont plus bonnes qu’à produire des effets de paysage. Il ne faut point le regretter. Les jardins de Djouf, qui ont la réputation d’être les plus beaux et les plus fertiles de l’Arabie, voient leurs fruits mûrir en paix par les soins d’une population qui est aujourd’hui fort calme, et qui retire de la récolte des dattes son principal élément de bien-être. Les dattes de Djouf sont renommées jusque sur les marchés de Damas et de Bagdad.

Il serait malséant, quand on parle des productions de l’Arabie, de ne pas donner la première place au café. Le café joue, on le sait, un grand rôle dans la vie arabe ; à l’égard d’un étranger et d’un hôte, il sert, pour ainsi dire, de préface et d’épilogue aux relations amicales ; il accompagne les bienvenues et les adieux ; il est le vin d’honneur. S’il fallait dire ce que M. Palgrave a dû boire de tasses de café en traversant l’Arabie d’un bout à l’autre, on arriverait à un chiffre formidable. Il convient pourtant d’en dire quelques mots, non point pour l’amour de la statistique, qui est considérée, non sans raison, comme une étude peu divertissante, mais dans l’intérêt de la gastronomie, science fort utile, qui vient d’entrer de plain-pied et le verbe haut dans l’arène de la littérature politique. Le premier récit que nous donne M. Palgrave après son entrée à Djouf est celui d’une séance de café dans le khawah ou salon de son hôte, le seigneur Ghafil. — A l’angle le plus éloigné de la porte, c’est-à-dire à l’abri des courans d’air qui pourraient compromettre le jeu régulier de la combustion, se trouve un fourneau artistement creusé dans un bloc de granit, autour duquel sont rangées avec ordre des cafetières en cuivre de diverses grandeurs. Le nombre et la beauté des cafetières, qui sont parfois ciselées avec un grand luxe, annoncent le rang et la richesse du maître de la maison. Les places les plus voisines du fourneau sont les places d’honneur, de telle sorte que l’étranger, accueilli comme un hôte, a la satisfaction de voir faire le café sous ses yeux. C’est un esclave noir qui est chargé de ce soin, on pourrait même dire de ce sacerdoce, à en juger par la description minutieuse que M. Palgrave consacre à la