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années du romantisme, tant de traductions en prose et en vers, de commentaires, même symphoniques ? « Après s’être entretenus très longtemps de leurs amours, ils convinrent qu’il fallait qu’ils se mariassent, quoi qu’il en pût arriver, et que cela devait se faire par l’entremise de frère Leonardo, franciscain théologien, grand philosophe, distillateur admirable, savant dans l’art de la magie et confesseur de presque toute la ville… A l’époque de la quadragésine, où la confession est d’obligation, Juliette se rendit avec sa mère à l’église Saint-François dans la citadelle, et étant entrée la première dans le confessionnal, de l’autre côté duquel se trouvait Roméo, également venu à l’église avec son père, ils reçurent la bénédiction nuptiale par la fenêtre du confessionnal, que le frère avait eu soin d’ouvrir. » Ainsi par le Girolamo della Corte ; la scène dans Shakspeare n’est pas moins simple, moins naïve :

JULIETTE, entrant dans le cellule.
Bonjour, mon père !
LE FRÈRE LAURENT.
Roméo, ma fille, te remerciera pour nous deux… Allons, venez avec moi, et vite, dépêchons, car avec votre permission, mes chers, enfans, je ne vous laisserai point seuls ensemble jusqu’à ce que notre sainte église vous ait incorpores tous les deux en un. (Exeunt.)


Pour retracer en musique un pareil tableau, on voudrait la touche d’un Fiesole, cette palette adorablement ingénue, cet angélique pinceau qui sur les murs du cloître de Saint-Marc à Florence a peint en fresque l’Annunziata et l’Incoronazione. Que fait M. Gounod ? Il traite la scène à grand fracas : il étend, amplifie si bien que la légende dorée tourne au mélodrame. Le doux et pacifique frère Laurent devient une sorte de moine rébarbatif, l’inquisiteur de Don Carlos ; l’humble et silencieux ami de l’humanité se répand en invocations, prodigue les formules. Où le calme et l’onction suffiraient, la tempête éclate, on se croirait chez Verdi, et pour que rien ne manque, une strette chaleureuse termine à l’italienne ce morceau, dont l’inopportunité seule m’empêche de louer la valeur musicale. Aussi pourquoi ce bruit inexorable ? quelle manie, alors que nul incident particulier n’en réclame l’emploi, de déchaîner comme un torrent ces masses instrumentales ? Deux orchestres aujourd’hui n’épouvantent personne ; il est permis d’y joindre même tant qu’on voudra le chant des orgues, le carillon des cloches et le grondement du tonnerre, mais à la condition que de tout ce tapage un effet original ; dramatique, sortira ; car si vous n’avez rien à me dire, si c’est uniquement pour le bruit et le plaisir de me jouer des fanfares de régiment que vous rangez en batterie tous ces saxophones surnuméraires, vous n’aurez fait qu’affirmer plus