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vives de la nation, la seule préoccupation peut être de les réunir et de les faire concourir le plus efficacement possible à la défense commune. Alors que l’activité se concentre momentanément aux armées, qu’elle se retire un instant de l’atelier ou du hameau, que l’agriculture et l’industrie manquent de bras, que la production s’arrête, on s’y résigne ; il faut sacrifier le présent pour sauver l’avenir, et le législateur n’a plus à s’inquiéter que d’une chose : égaler au moins par le poids des masses les forces de l’ennemi.

Pour avoir toujours en pareil cas le nombre d’hommes capables de protéger glorieusement l’honneur national, il ne faut pas que l’armée permanente soit organisée de telle sorte qu’elle amène peu à peu au sein même de la paix l’épuisement de la race ; il ne faut pas qu’elle arrête le développement des forces actives de la nation, et la loi nouvelle qui se prépare irait contre le but qu’elle doit atteindre, elle serait fatale, si, en décrétant pour le présent l’augmentation du nombre des soldats, elle décrétait en même temps pour l’avenir la diminution progressive du nombre des citoyens.

La puissance d’une nation n’est pas seulement absolue, elle est aussi relative. Si notre population, si les ressources que procure le travail restent stationnaires ou s’accroissent faiblement tandis que la population et les ressources des nations voisines augmentent rapidement, notre puissance absolue pourra rester la même ou grandir ; mais notre puissance relative diminuera. Or nous avons malheureusement à montrer que notre puissance relative, basée sur le chiffre de notre population, va en s’affaiblissant depuis l’ère des grandes armées permanentes, et que le projet d’organisation militaire, tel qu’il paraît avoir été conçu, aboutirait directement sous ce rapport à la ruine de la France. Un grand fait indéniable, indiscutable, domine toute la question : notre population s’accroît en nombre avec une lenteur fatale ; celle des grands états voisins augmente avec une rapidité consolante pour l’humanité, inquiétante toutefois pour l’avenir de la puissance française. A l’exception de l’Autriche, du Wurtemberg, de la Romagne, des Marches, de l’Ombrie et des anciens duchés de Panne, Modène, Plaisance, presque tous les états européens doublent leur population beaucoup plus rapidement que la France : le Danemark et la Suède en 63 ans, la Norvège et l’Espagne en 57, la Russie en 66, la Grèce en 44. Ce doublement s’effectue pour l’Angleterre en 52 ans, pour la Prusse en 54, pour nous en 198 années, et si cet accroissement relatif devait continuer partout dans les mêmes proportions, la France, n’aurait dans cinquante ans que 47 millions d’habitans à opposer aux 67 millions que posséderait l’Allemagne prussienne, en ne lui attribuant aujourd’hui qu’une population égale à la nôtre.