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Lara et aussi fait pour provoquer la rêverie et la curiosité que le premier était fait pour provoquer la résistance et la répulsion ; mais ce second personnage n’est pas encore le vrai, et nous découvrons que ce costume masculin n’est qu’un travestissement qui, pareil aux déguisements des belles aventurières de Shakespeare, comprime un cœur de femme tendre, passionné et violent. Notre étonnement est extrême lorsque nous découvrons que sous l’enveloppe grotesque du père Alexis, se cache une âme de confesseur et de martyr, et lorsque ce fantoche comique, rival en gourmandise du singe Solon, se révèle à nous avec une grandeur épique. De la grandeur, il y en a aussi une véritable dans le pauvre serf Ivan, C’est en vain que le comte Kostia, dans son orgueil d’aristocrate, croirait l’assimiler aux animaux de trait et de labour en lui parlant ce langage des coups par lequel on se fait entendre des bêtes ; Ivan affirme son titre d’homme et les droits de son âme par la résignation et l’humilité nobles avec lesquelles il reçoit le châtiment immérité que lui inflige un maître tyrannique. À ce moment, ce serf, ce collègue des brutes, nous fait sentir qu’il a été vraiment racheté de tout le sang de Jésus-Christ. Et quelles révélations successives chez le comte Kostia ! C’est d’abord un sceptique blasé et corrompu par l’habitude du commandement, léger avec profondeur comme le sont souvent les mondains de sa catégorie ; puis c’est un tyran aristocratique dont l’orgueil est le seul mobile, qui considère chez ceux qui l’entourent tout indice d’épanouissement intérieur comme un manque d’égards, qui ne sait lire la déférence que sur des visages pâles de crainte et ne se croit sûr du respect que lorsqu’il impose le tremblement ; enfin ces masques tombent, et l’on voit apparaître une âme malade et malheureuse à l’excès qui nous dévoile un nos secrets les plus noirs et les plus subtils à la fois que puisse contenir la nature humaine. Nous comprenons alors pourquoi le comte Kostia se plaît à imposer la douleur autour de lui. Ce n’est pas par dureté aristocratique, ce n’est pas par représailles contre la destinée et pour venger sur autrui les maux dont il a souffert, par une perversité paradoxale qui rappelle quelques-unes des pratiques superstitieuses les plus atroces de la sorcellerie, le comte Kostia est arrivé à se persuader qu’en imposant la souffrance à un être innocent, il pourrait se débarrasser de la sienne propre. Comme ce roi jaloux d’un des drames de Shakespeare qui, ne pouvant atteindre son rival imaginaire, croit qu’en tuant sa femme il retrouvera au moins la moitié de son repos, le comte Kostia s’est persuadé que s’il peut parvenir à éteindre sur le visage, de sa fille ce sourire qui lui rappelle un visage trop aimé, il pourra guérir et vivre. Jamais adepte des doctrines démoniaques n’inventa de sortilège plus ingénieusement,