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plus poétiquement pervers, ne comprit avec plus de profondeur le plaisir que doivent donner aux puissances du mal les larmes de l’innocence et le sang des nouveau-nés. C’est monstrueux, et grand à la fois.

Le Comte Kostia est un de ces livres qu’il est presque dangereux de faire, car ils donnent au lecteur le droit de trop attendre de ceux qui le suivent, et ils imposent à l’auteur le difficile devoir de se maintenir à la hauteur où il s’est placé un certain jour. Que d’ingénieuses combinaisons de pensées révèle cet émouvant récit ! A-t-on remarqué par exemple que M. Victor Cherbuliez a trouvé le seul genre de roman que l’imagination aimé à rêver pour la scène où il l’a placé, et les seuls personnages de notre monde moderne qui conviennent à cette scène ? Lorsque vous avez visité les vieux châteaux des bords du Rhin, ne vous est-il pas arrivé plus d’une fois de rêver en vous demandant quels hôtes ils pourraient recevoir aujourd’hui, et quels sentiments pourraient s’y épanouir à l’aise ? C’est à juste titre, se dit-on, qu’ils restent pour la plupart inhabités, ruines poétiques pendant le jour, et la nuit lieu de rendez-vous des revenants et des âmes en peine du passé. Difficilement on imagine un sentimental roman bourgeois se passant entre leurs pittoresques murailles. Où trouver dans notre Europe d’aujourd’hui les âmes capables des passions sauvages que ces sites inspirent, de la franchise de sentiments que cette solitude conseille au cœur qu’elle livre à lui-même ; des crimes grandioses que suggèrent ces épaisses murailles impénétrables et sourdes qui défient l’œil et l’oreille de tout témoin ? Un sourire d’involontaire ironie vient aux lèvres, lorsqu’on apprend parfois, comme cela nous est arrivé, que telle ou telle de ces robustes mesures a été achetées à vil prix, restaurée avec tout le luxe dont nos modernes tapissiers sont capables, par quelque croupier français ou quelque folliculaire parisien, aujourd’hui défunt, enrichi par le chantage et le commerce de louanges sans valeur. On a vraiment peine à comprendre les aigrefins ou les bons vivants de notre moderne civilisation habitant une demeure faite pour servir de scène au Majorat d’Hoffmann, et l’on ne serait pas plus étonné d’apprendre qu’un entrepreneur ingénieux, vient d’acheter la cabane des terribles paysans du Vingt-quatre Février de Werner pour y jouer le Chalet de M. Adolphe Adam. Cependant ces demeures féodales peuvent encore trouver dans notre Europe des hôtes dont les passions et les sentiments s’harmonisent avec leur caractère grandiose et sauvage, et M. Cherbuliez les a distingués et nommés avec une sagacité rare. L’hôte qui convient à un tel séjour, ce n’est pas l’opulent dandy français émasculé par l’épicuréisme de la vie parisienne et les contraintes chaque jour