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l’autre, marchant de compagnie, ne s’arrêteront que sur le tombeau de leur victime. Rarement les crimes du cant et de la calomnie ont été démontrés avec une plus tragique évidence.

Paule Méré nous suggère incidemment une réflexion dont nous ne pouvons nous dispenser de faire part au lecteur, car elle est tout à l’honneur de M. Cherbuliez. Décidément le jeune auteur a une préférence, marquée, pour les âmes charmantes que leurs dons innés de grâce et de légèreté semblent marquer et marquent en réalité pour être les victimes expiatoires de toutes les lourdeurs et de toutes les laideurs de ce bas monde. Sa carrière littéraire est encore bien courte, et voici que par trois fois déjà il s’est constitué l’avocat de ces âmes rares autant que malheureuses ; puissent Torquato Tasso, Stéphanie Kostia, Paule Méré, plaider pour lui contre les faux jugements de la méchanceté et de la sottise, s’il a jamais à les redouter, et puissent nos remerciements lui être une faible compensation des critiques malfaisantes que les hypocrites, — les épaules encore libres de ces chapes de plomb que Dante vit peser sur elles dans cet enfer qui leur est dû et qu’ils obtiendront, — n’auront pas manqué de lui adresser pour avoir osé prendre avec récidive la défense de ce qui fait seul le charme et le prix de la vie !

Des trois récits publiés jusqu’à présent par M. Cherbuliez, le Roman d’une honnête femme est celui que j’aime le moins. La donnée de ce roman est par trop française, et l’on dirait qu’en l’écrivant M. Cherbuliez a pensé surtout à plaire aux Parisiens en leur présentant un sujet qu’ils pussent agréer ; pour nous, qui nous soucions avant tout, lorsque nous lisons un roman, de l’originalité de sa donnée et de ses caractères, nous aimons mieux le jeune auteur quand il est moins Parisien et qu’il reste Genevois. Ce qui manque en effet au Roman d’une honnête femme, c’est un goût, une saveur de terroir quelconque. On sent qu’il a poussé dans l’esprit de l’auteur comme une sorte de plante de terre chaude, par les procédés ingénieux d’une savante horticulture littéraire. Bien des fois déjà, nos auteurs à la mode ont plus ou moins exploité la donnée qui fait le fond du Roman d’une honnête femme. Il s’agit encore de cet irrésistible séducteur du grand monde que ses succès passés poursuivent après son mariage, et qui trouve le châtiment de ces succès dans les jalousies rétrospectives qu’ils éveillent chez sa femme et les déboires qu’ils portent dans son existence. Malheureusement, comme ces déboires sont aussi légitimes que les corrections que s’attire un écolier pour avoir fait indûment l’école buissonnière, ils n’éveillent en nous aucune pitié et n’ont d’attrait que pour notre seule curiosité, qui se plaît à observer quels mouvements distinguent notre nature dans les différentes situations où elle est placée. Il