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sont d’immenses tonneaux où s’engouffrent les matières solides ; puis les voitures, foyers d’infection ambulans, reprennent leur marche pesante et se rendent au dépotoir de la Villette, qui a remplacé l’ancienne voirie de Montfaucon. Elles y arrivent de minuit à huit heures du matin et vident aussitôt leur chargement en des citernes couvertes. Des pompes mues par des machines à vapeur se mettent alors en mouvement et refoulent le contenu des citernes, par des tuyaux souterrains, jusqu’aux bassins de la nouvelle voirie, située dans la forêt de Bondy, à 10 kilomètres de distance. Les matières se déposent là à l’état fluide, dans d’énormes bassins d’une superficie de 7 hectares et de 160,000 mètres cubes de capacité. Elles se dessèchent, se concentrent en empestant le pays d’alentour au bout de trois ou quatre ans, c’est devenu de l’engrais. Une partie des liquides, traitée par des moyens chimiques, fournit une notable quantité de sels ammoniacaux. On aura une idée de l’importance et aussi de l’embarras d’un tel établissement quand on saura qu’on vide chaque nuit 2,000 mètres cubes de matières dans les bassins de Bondy.

Les deux usines de la Villette et de Bondy, nécessairement peu connues, sont un modèle à citer sous le rapport de la salubrité publique, et font honneur aux savans ingénieurs des ponts et chaussées, MM. Mary et Mille, qui les ont organisées ; mais, étant admis que l’on a su atténuer autant que possible les inconvéniens du système, il n’en est pas moins évident que l’existence d’un si gigantesque cloaque aux portes de Paris, non moins que les opérations dégoûtantes qui s’opèrent au préalable, sont un contre-sens à côté des merveilles que la capitale de la France offre aux regards. De plus, il n’est pas rare, que les ouvriers qui procèdent au nettoyage des fosses soient frappés d’asphyxie. À tous égards, c’est donc une calamité. Ce n’est pas cependant que les inventeurs aient dédaigné de porter leur attention sur ce sujet repoussant. Quoiqu’il y ait eu des perfectionnemens incontestables, aucun d’eux ne constitue une réforme radicale, et c’est pourtant ce qu’il serait urgent de réaliser aujourd’hui. La question ne touche pas seulement au bien-être, à la propreté, à la salubrité publique ; elle intéresse aussi l’agriculture, dont nous gaspillons l’un des plus précieux engrais. Les Anglais, qui chiffrent volontiers les valeur commerciale de chaque chose, ont évalué à 10 fr. par tête et par an le rendement de l’engrais humain. La ville de Paris seule y serait donc intéressée pour une somme de 18 à 20 millions de francs, dont une très minime portion se retrouve en l’état actuel dans les produits de l’usine de Bondy.

Il est assez vrai de dire que la propreté individuelle et la bonne tenue des maisons ou des villes sont affaire de mœurs, et que les