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On leur suppose je ne sais quel charme en le voyant si épris ». Mais ce qui suit est en vérité fort surprenant : « Il ne sait pas vivre, celui qui se fâche parce que sa femme a des amans ; il ne connaît pas les mœurs de Rome. Si tu es sage, ferme les yeux, calme ton visage irrité, oublie les droits sévères du mari. Cultive les amis que tu dois à ta femme, elle ne t’en laissera pas manquer. Tu te feras ainsi beaucoup d’obligés sans te donner aucun mal ; ainsi tu auras ta place marquée à toutes les fêtes de la jeunesse, et tu verras ta maison pleine de présens qui ne te coûteront rien ». Plaisanteries imprudentes et qu’il paya bien cher !

L’Art d’aimer, que le poète écrivit ensuite et qui fut l’une des causes de son exil, ne donne pas lieu aux mêmes incertitudes que les Amours. Cette fois au moins Ovide a grand soin de nous dire pour qui le livre est fait. « Éloignez-vous d’ici, vous qui portez des bandelettes légères, insigne de la pudeur, et qu’une longue robe couvre jusqu’aux pieds. Je chante les amours sans scandale et les plaisirs permis ». Il s’adresse donc à ces femmes de mœurs légères, pour la plupart affranchies, et qui étaient alors si nombreuses et si importantes. Rome les a de tout temps beaucoup attirées. Plaute disait déjà à l’époque des guerres puniques : « Il y a plus de courtisanes ici que de mouches quand il fait très chaud ». C’était bien pis du temps d’Auguste, surtout à la suite de ces grandes fêtes qui attiraient tant de curieux, lorsque, suivant l’expression d’Ovide, la ville et le monde se confondaient, orbis in urbe fuit. Ces femmes, si on en croit le poète, étaient très artificieuses et fort habiles. Leur éducation avait été poussée très loin. On ne leur apprenait pas seulement à connaître les deux langues qui se partageaient l’univers, le grec et le latin, à danser et à chanter, mais aussi à parler avec mignardise, à marcher avec grâce, à rire et à pleurer : c’étaient des talens qu’elles savaient exercer fort à propos. Elles avaient tous les défauts qui leur sont ordinaires et quelques autres encore qui tenaient au temps ; par exemple, elles étaient très superstitieuses. Les religions orientales, qui commençaient à prendre tant d’importance, n’avaient pas d’adeptes plus fervens. Elles prenaient part aux fêtes de la grande déesse, elles pleuraient Adonis de tout leur cœur, elles fréquentaient le temple d’Isis, et même y donnaient des rendez-vous, elles jeûnaient dévotement le jour du sabbat ; quand elles étaient malades, elles envoyaient chercher la sorcière plus vite que le médecin. On comprend bien qu’elles ne se piquaient guère d’être fidèles. Ovide, qui ne croit pas à la vertu des femmes, est d’avis qu’à la longue aucune ne peut résister, et que leur conquête n’est qu’une affaire de patience. « Persuade-toi, dit-il, que tu dois vaincre, et tu vaincras ». Il prétend que Pénélope elle-même commençait à faiblir, et que son mari revint fort à pro-