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ploré ces brillantes liaisons qui ont aidé à le perdre. « Croyez-moi, écrivait-il du pays des Scythes, vivre ignoré, c’est vivre heureux » ; mais il parlait autrement quand il était à Rome. La réputation de son talent et les agrémens de son esprit le faisaient bien accueillir partout. Sa gloire littéraire l’introduisait dans un monde où sa naissance, quoique distinguée, ne lui aurait pas donné d’accès. Il y était l’objet des prévenances les plus flatteuses ; il y trouvait des séductions que son goût naturel pour l’élégance rendait irrésistibles. Quand ces grands personnages daignaient faire quelques vers à leurs heures perdues, ils étaient heureux de les lui lire, et en retour ils accueillaient avec reconnaissance ceux que le poète voulait bien écrire en leur honneur. Parmi ceux auxquels il adresse ses élégies, on trouve un Messala, un Graecinus, un Pompée, un Cotta, un Fabius Maximus, les plus grands noms de l’empire.

Ces belles liaisons ne lui suffisaient pas. Comme il succédait à la réputation d’Horace et de Virgile, il aurait bien voulu prendre aussi la place qu’ils avaient occupée dans l’intimité de l’empereur, et il semblait à tout le monde qu’elle lui était réservée, Auguste s’était attribué le rôle de protecteur de la littérature de son temps ; il convenait à sa politique de s’attacher tous ceux qui pouvaient agir sur l’opinion. À ce titre, il était naturel qu’il souhaitât d’attirer à lui le poète dont Rome entière chantait les vers. Cependant il ne paraît pas qu’il l’ait jamais approché de sa personne. Si Ovide avait été de quelque façon distingué par Auguste, il n’aurait pas manqué de le dire, et il n’en a parlé nulle part. Cette sorte d’éloignement systématique d’un prince ami des lettres pour un si grand poète paraît difficile à expliquer : il faut pourtant en chercher les raisons.

Remarquons d’abord que, si les rapports ne devinrent jamais très étroits entre le poète et le prince, ce ne fut pas la faute du poète. Il a fait toutes les avances et n’a rien négligé pour attirer sur lui la faveur impériale. On doit cependant reconnaître que ses premiers ouvrages sont plus réservés et contiennent moins de flatteries que les autres. C’est à peine s’il est question d’Auguste deux ou trois fois dans ses Amours : il était à l’âge où l’on cherche plus à plaire à Corinne qu’à l’empereur. On y trouve même un trait d’audace qu’on n’a pas relevé et qui paraît fort surprenant chez un homme aussi timide. Il y parle de Gallus, une victime d’Auguste. C’était déjà une témérité de prononcer ce nom désagréable à l’empereur et qu’il avait fait effacer des Géorgiques. Il va plus loin, il ose insinuer que Gallus n’était pas coupable et qu’il a été faussement accusé. Quand on connaît Ovide, on est confondu de tant de courage ; mais cette indépendance ne se maintint pas. Le ton change à partir de l’Art d’aimer, dès lors on aperçoit chez lui l’intention de deve-