Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 69.djvu/598

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nir le poète officiel de l’empire. C’était le moment où le jeune Caïus, le fils d’Agrippa et de Julie, qu’Auguste avait adopté, partait pour cette expédition d’Orient d’où il ne devait pas revenir. Le poète lui prédit toute sorte de succès et un retour triomphant. Il demande dévotement à Mars, père des Romains, et à César, père du jeune prince, de lui accorder leur divine protection, « car des deux l’un est déjà dieu, l’autre le sera plus tard ». C’est ainsi qu’il préludait aux flatteries énormes des Métamorphoses et des Fastes.

Il faut bien dire un mot de ces flatteries qui déplaisent tant quand on lit les derniers ouvrages d’Ovide. La seule excuse qu’on puisse alléguer pour les défendre, c’est qu’il n’a fait que suivre l’exemple des autres. Tous les écrivains de son temps parlent comme lui. Certes on comprend qu’ils aient été très frappés des événemens qui se passaient sous leurs yeux, de ce maintien vigoureux de la paix publique, de ce soin vigilant de faire respecter l’empire sur toutes ses frontières, des hommages rendus à sa puissance par des peuples barbares et inconnus. C’était après tout une grande époque, et les esprits justes et généreux, qui ne mettent pas leur gloire à paraître toujours mécontens et « à s’attrister du bonheur public », pouvaient trouver beaucoup d’éloges à faire ; mais pourquoi donc ces éloges ont-ils toujours un air servile[1] ? d’où viennent ces exagérations qui donnent à la vérité même l’apparence du mensonge ? et comment se fait-il qu’Auguste n’ait pas été autrement loué que Néron ou Domitien ? Quelques personnes voudraient bien en faire retomber toute la faute sur Auguste lui-même ; je crois qu’en bonne justice la meilleure part en revient à son temps. Il y avait évidemment dans cette société qui nous semble si brillante un fonds de bassesse ; elle était prête pour le despotisme quand il a paru. Ce qui le prouve, c’est qu’elle l’a bien accueilli et qu’elle s’y est faite avec une étrange rapidité. Quelques mois après Philippes, quand les soldats d’Octave pillaient l’Italie, Virgile, qui avait reçu de lui quelque faveur, s’écriait : « Oui, c’est un dieu, et le sang d’un agneau coulera souvent sur ses autels ! » Voilà une apothéose bien prématurée au lendemain des proscriptions. On peut donc soutenir que l’empire était fait dans les esprits avant Auguste. Dès les premiers temps, on a mis autant d’empressement à lui donner le pouvoir qu’il avait de désir de le prendre. Dans la suite, le sénat lui a toujours offert plus de dignités qu’il n’en a voulu accepter, et une fois le peuple s’est révolté pour le forcer à être dictateur. Il faut laisser à chacun la part de responsabilité qui lui revient ; ce n’est pas l’empire qui a fait alors

  1. J’excepte les beaux vers d’Horace en tête de son épître à Auguste. C’est encore ce fils d’esclaves qui, dans ses flatteries, a su conserver le mieux sa dignité.