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nuyeux et inutile. Elles reposent en général sur ces mots du poète : « Pourquoi ai-je vu quelque chose ? pourquoi ai-je rendu mes regards complices d’une faute ?… Je suis puni pour avoir été le témoin d’un crime sans le savoir ; je ne suis coupable que d’avoir eu des yeux ». Que pouvait-il donc avoir vu de si criminel ? Quelques-uns penchent à croire qu’il avait surpris quelque secret d’état ; c’est une conjecture à la fois très vague et fort peu vraisemblable ! Frapper sévèrement Ovide, l’exiler dans un lieu d’où il pouvait correspondre avec Rome, ce n’était pas un bon moyen de s’assurer de son silence. Quant à penser qu’il était puni pour avoir trahi ce secret, rien ne le fait supposer ; il dit partout qu’il est coupable d’avoir vu et non d’avoir parlé. D’autres se sont mis en tête qu’il avait été assez indiscret pour regarder Livie se baigner ; mais on oublie qu’Ovide parle d’un crime qu’il a vu commettre, et ce n’est pas un crime que de prendre un bain. Le plus grand nombre voudrait que le hasard l’eût fait assister à quelque méchante action d’Auguste, peut-être à ses amours avec sa fille. Cette opinion, que Voltaire a soutenue, ne s’appuie que sur une autorité bien peu sérieuse, celle de Caligula. Il ne suffisait pas à cet empereur de se rattacher à Auguste par sa grand’mère Julie ; dans sa bizarre vanité, il voulait descendre de lui des deux côtés ; il s’indignait d’avoir pour aïeul le plébéien Agrippa, un soldat de fortune, et trouvait bien plus honorable pour sa maison que sa mère dût le jour à un inceste. Mais les rêveries d’un fou ne sont pas des preuves, et Auguste a bien assez de fautes à se reprocher sans qu’on lui en crée d’imaginaires. Du reste, quand on admettrait qu’il fût coupable, et l’on n’a aucune raison de le penser, il serait impossible d’établir quelque rapport entre cet événement et l’exil d’Ovide. Lorsqu’Ovide fut chassé de Rome, il y avait déjà dix ans que Julie en était éloignée, qu’elle vivait dans une prison rigoureuse et loin des regards de son père. Qui ne voit d’ailleurs que, s’il était question d’une mauvaise action d’Auguste, Ovide n’en dirait rien ou chercherait à l’atténuer ? Au contraire il la qualifie très durement ; il l’appelle un crime. S’il parle de ce crime avec tant de liberté, c’est qu’il a été commis non par Auguste, mais contre lui ; il s’agit d’une faute dont il a été la victime et non le héros et qui lui a causé une profonde douleur. « Je ne veux pas rouvrir tes blessures, lui dit le poète ; c’est bien assez du mal qu’elles t’ont fait une fois ».

Ces mots nous mettent sur la voie de la vérité ; la douleur qu’Auguste a le plus profondément ressentie, parce qu’elle blessait en lui le souverain et le père, tous les historiens le disent, c’est la conduite coupable des princesses de sa famille. Il est donc probable qu’Ovide fait allusion à quelque aventure de ce genre, et que cette blessure qu’il ne veut pas rouvrir dans l’âme de l’empe-