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comprendre que tout effort, toute tentative un peu raisonnée de sa part, doivent trouver dans la quantité ou la qualité des produits une récompense assurée. Il n’y a pas d’autre moyen de l’intéresser aux améliorations.

A cet effet, on peut d’abord agir sur le métayer pris isolément en l’instruisant, en éclairant son esprit, en dissipant les épaisses ténèbres dont ses yeux sont encore couverts. Si l’on veut qu’il suive des procédés perfectionnés et une méthode rationnelle, il est nécessaire qu’on lui en fasse comprendre auparavant l’avantage. Dans l’ignorance invétérée où nous l’avons vu sur le sol périgourdin, le lien entre son effort d’aujourd’hui et le produit de demain échappe à son intelligence. Avec tout changement, avec toute déviation à la vieille routine, commencent, selon lui, l’incertitude et le danger. Dépenser le moins possible sur la terre qu’il laboure, tel est l’objet constant de ses efforts. Il ne comprend pas qu’en agriculture comme en tout le chiffre des frais ne saurait être séparé du chiffre du produit net. Mieux vaut dépenser 500 francs sur un champ d’un hectare pour en récolter 900 que de s’arrêter à 200 francs pour n’en obtenir que 300. Ces notions élémentaires sont trop complexes pour beaucoup de métayers. A leurs yeux, il n’y a de sûr que l’ornière ; c’est leur foi intime, d’autant plus difficile à entamer qu’elle n’est pas même réfléchie. Donc aucun besoin ne doit passer avant celui d’éclairer les esprits. Aux yeux des hommes pratiques, le projet conçu par M. Duruy, qui consiste à utiliser pour l’instruction agricole nos 40,000 écoles primaires, dont 27,000 possèdent un jardin potager ou un terrain en culture, serait une mesure efficace pour l’amélioration du métayage. Les cours d’adultes peuvent également servir de véhicules aux connaissances les plus indispensables. À ce même point de vue, tout en conservant certaines appréhensions sur le rôle des commissions centrales, trop invariablement fondues dans les mêmes moules, on doit signaler comme un bon symptôme la mesure par laquelle le ministre du commerce, M. de Forcade, a inauguré son administration en chargeant une commission de proposer les mesures nécessaires pour l’expansion des connaissances agricoles.

Parmi les connaissances à propager, il en est une aujourd’hui complètement délaissée, et qui peut seule mettre le cultivateur en état de suivre ses affaires et de comparer les résultats successivement réalisés : je veux parler de la comptabilité agricole. Il est inouï à quel point l’ignorance est grande à ce sujet dans les campagnes. Je ne commettrai pas d’indiscrétion en énonçant d’une façon générale que, dans certains concours, où il fallait de toute nécessité produire des livres de compte, on avait dressé la veille les états soumis aux jurys.