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tempérament. L’expérience que M. Schreyer avait tentée l’année dernière a suffi pour lui ouvrir les yeux ; celle que M. Belly fait aujourd’hui aura-t-elle un résultat aussi heureux ? Je le désire. la Fontaine a dit :

Ne forçons pas notre talent,
Nous ne ferions rien avec grâce.


Si M. Belly s’était rappelé, ces deux vers si connus qu’ils sont, un lieu commun, il est probable qu’il n’eût point exécuté son grand tableau : il aurait compris qu’il ne suffit pas d’être un agréable paysagiste pour devenir tout à coup, par inspiration foudroyante, un peintre d’histoire. J’ai rouvert et consulté trois fois le livret avant d’être convaincu que c’était bien M. Belly qui avait fait les Sirènes. Avec plus d’attention, j’aurais pu, dans les montagnes empruntées aux Calabres et qui forment le fond de la composition, reconnaître la manière habile dont M. Belly traite le terrain dans les paysages ; mais j’avoue que tout le reste du tableau, c’est-à-dire la partie importante, — tout le groupe de personnages — m’a paru être l’œuvre d’un de ces peintres de la restauration qu’on appelait en plaisantant la queue de David. On connaît le sujet. Ulysse, attaché au mât de sa barque est debout ; il regarde les sirènes qui s’ébattent dans la mer et chantent pour l’attirer ; il en est même une qui joue de la lyre, ce qui tendrait à prouver que vers ce temps-là les cordes ne se détendaient pas dans l’eau. Il y a là dans cette toile ambitieuse une grande visée qui n’aboutit pas et des prétentions excessives qui ne me semblent pas justifiées. La figure héroïque, grande comme nature, a des mystères que M. Belly n’a pas encore pénétrés et des difficultés d’exécution auxquelles il faut se rompre avant d’essayer de les aborder. Les artistes appellent une œuvre de cet ordre un grand effort ; je la nommerai plus volontiers une profonde illusion, et c’est rendre service à M. Belly que de l’engager à déposer les ailes d’Icare qu’il vient courageusement, mais imprudemment, d’attacher à ses épaules. Sa tentative est honorable, mais il peut voir à la froideur qui l’accueille qu’elle n’a pas été dès plus heureuses. La veine des succès recommandables n’est point tarie pour M. Belly ; il peut facilement la rouvrir quand il voudra. Pour cela, que faut-il faire ? Peu de chose, revenir aux inspirations plus modestes d’où est sorti ce joli Désert de Nassoub auquel nous ayons applaudi en 1857.

M. Bida, lui, ne suit pas les feux follets décevans qui jettent le voyageur crédule hors de sa route et l’égarent dans des recherches vaines ; il reste imperturbablement penché sur l’œuvre considérable qu’il a entreprise, dont rien ne le détourne, et que bientôt il aura