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camp, dont l’un, jeune homme fort évaporé, ricane de la bonne tête des paysans qui se sont réunis en hâte pour saluer l’altesse au passage. Le bourgmestre, le maître d’école, sont là avec une bande de gamins qui pleurent, rient ou admirent, selon leur impression, et braillent à tue-tête vive monseigneur ! Plus loin, près de quelques maisons, on aperçoit un groupe de jeunes filles en court jupon blanc, que la timidité à retenues loin de la route, mais que la curiosité a poussées hors de leurs chaumières. Pour qui connaît l’Allemagne, c’est une scène prise sur le fait, La bonhomie imposante des paysans, l’effarement des bambins, la raideur insouciante de l’altesse, la lourdeur bonasse de l’un des aides de camp, la gaieté de l’autre, la dignité transcendante du chasseur empanaché qui marche de loin derrière son maître, ont été saisis sur le vif de la nature. C’est une bonne satire, innocente, car elle est sans fiel, mais d’une observation juste et assez pénétrante. Le dessin de tous ces minuscules personnages est exact et soigné ; tout est exécuté avec un soin minutieux ; le sourire respectueux qui déride les visages, le bouton qui retient la bretelle en lisière, sont traités avec un soin égal. Le coloris doit être agréable, quoique un peu papillotant ; il est actuellement à l’état neutre et, pour apparaître dans la valeur que le peintre a voulu lui donner, il a besoin de la brosse du vernisseur. C’est en somme un bon tableau ; mais il me semble que la manière de M. Knaus s’est appauvrie, qu’il cherche la petite bête plus qu’il ne faudrait, que sa coloration manque d’unité, que ses dernières œuvres ne dépassent pas et ne font pas oublier le Matin après une fête de village, que nous avons vu en 1853.

Je serais tenté, d’en dire autant à M. Bonnat, Certes son Ribeira dessinant à la porte d’Aracœli est loin d’être une toile médiocre ; cependant elle n’est pas meilleure que les Pèlerins au pied de la statue de saint Pierre du Salon de 1864, et c’est ce que je lui reproche. Quand on a reçu en naissant le don naturel du coloris, il faut être difficile pour soi-même et tâcher de faire un progrès à chaque pas. Dans le nouveau tableau de M. Bonnat, on retrouve ce coup de brosse sagement vigoureux, cette habile distribution de lumière, qui sont les qualités ordinaires de cet artiste ; il me semble pourtant qu’il a obéi à une inspiration mal raisonnée en plaçant au centre même de la toile un ton jaune qui n’a aucun rapport avec la coloration générale, qui détonne, tire l’œil et n’est pas justifié. Une grande muraille blanchâtre appuyée sur un large escalier, une grille ouverte par où sortent des moines encapuchonnés, des hommes du peuple qui sont groupés ou dorment étendus sur les degrés ; au milieu, contre un pilier, une petite fille, en pleine clarté, pose, pendant que Ribeira, le carton aux genoux, la dessine assis