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indistinctement, le beau, le laid, le hideux, le sublime ; elle est impersonnelle et ne choisit pas : c’est à l’artiste de faire cette sélection sévère, de rejeter tous les élémens imparfaits ou insignifians, de montrer les autres dans leur plus grande beauté possible et de repousser énergiquement tout ce qui ne peut pas aider à la grandeur, à la simplicité de son œuvre. Plus une composition est abstraite, c’est-à-dire plus elle est dégagée de tout détail qui n’y rentre pas forcément pour la faire valoir et la compléter, plus elle est près de l’art. Voilà de bien grands mots pour quelques moustiques qui volent dans l’éblouissement des derniers rayons du soleil ; mais je voudrais pouvoir les chasser et rendre toute sa pureté à ce ciel ardent sur lequel se détachent trois paysannes qui reviennent des champs et marchent sur un chemin ouvert entre des blés et des œillettes. Elles ont la réalité imposante des femmes accoutumées aux rudes travaux de la terre, et cependant développent une amplitude et une noblesse de mouvement que des caryatides n’auraient pas dédaignées. Il y a là du style et du meilleur. Le dessin très correct, la couleur très forte, sans exagération, donnent à cette toile une valeur d’exécution qui va de pair avec l’ordonnance générale.

Il est assez difficile de porter un jugement définitif sur. la toile exposée par M. Knaus ; elle n’a pas encore été vernie, et les embus sont tels qu’ils rendent la perspective incomplète, détruisent l’effet des glacis, donnent aux ombres une importance qu’elles n’ont pas réellement, diminuent la puissance des lumières et atténuent le relief du modelé. Telle qu’elle est cependant, on peut en dire qu’elle ne s’éloigne pas de la manière habituelle de M. Knaus. C’est toujours ce pinceau agréable, cherchant l’esprit, le trouvant parfois, exagérant un peu trop l’expression, procédant par plaques et abusant des tons bleuâtres, qui sont un souvenir encore trop direct de l’école de Dusseldorf. Les tableaux de M. Knaus sont plutôt une réunion de détails qu’un ensemble ; l’œil s’égare volontiers à chercher ces petites têtes fines juxtaposées, ces aimables petits bonshommes naïfs, importans, rusés, timides ou hardis, envieux ou indifférons. La composition est un peu diffuse, elle va au hasard, ne s’arrêtant ni ici ni là, ne donnant aucun point de repère à l’attention et la laissant divaguer à son aise. Son Altesse en voyage est descendue de sa lourde berline, qu’on aperçoit dans le lointain cheminant au petit pas de quatre chevaux. Le haut personnage, coiffé de la casquette et revêtu de la capote. prussiennes, va vite pour se dégourdir les jambes à l’air frais du matin ; il est assez rogue, assez sec, ne paraît se soucier que fort médiocrement de ce qui se passe autour de lui, et marche suivi par deux aides de