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l’officier russe qui avait osé faire acte de souveraineté dans un pays qui forme partie intégrante de la Perse. Le gouvernement russe, pour ne pas donner prise aux récriminations passionnées que pouvait éveiller cet incident, désavoua son agent ; toutefois il garda Achourada, et fit bien.

Pour se rendre compte de l’étendue du fléau et de la dépopulation des provinces persanes exposées aux incursions des Turcomans, il faut lire les récits des voyageurs qui ont vu le nord-est de la Perse avant ces cinquante dernières années et les comparer avec ce qui existe aujourd’hui. Le désert, qui jadis commençait seulement au pied de la ville populeuse et florissante de Merw, a aujourd’hui avancé vers l’ouest d’environ quatre-vingts lieues. Merw est une masse de ruines et n’a pas un habitant ; Asterabad, Meched, dont les banlieues fourmillaient il n’y a pas longtemps de villages et de maisons de plaisance, sont comme des villes assiégées d’où il est fort dangereux, à certaines saisons de l’année, de s’écarter pour aller faire une excursion de trois ou quatre milles dans la campagne. Des squelettes poudreux de bourgades qui existaient encore il y a quinze ou vingt ans et où le Turcoman seul vient aujourd’hui planter les piquets de sa tente couvrent la surface d’un territoire grand comme la moitié de la France, et le gouvernement imprévoyant qui régit le pays de Cyrus et de Nadir-Chah attend dans une inertie égoïste et stupide que le désert vienne toucher aux portes de Téhéran.

À ce fléau qui dépeuple et démoralise une grande région de l’Asie, il n’y a que deux remèdes à appliquer : poursuivre et détruire les chasseurs d’hommes, ou leur fermer le marché qui perpétue leur odieux commerce. Le premier moyen est trop rigoureux et d’ailleurs d’une exécution impraticable, tant que les brigands, chassés de leurs campemens autour de la Caspienne, auront pour points d’appui les steppes de la Boukharie et la complicité intéressée de leurs frères les Ouzbegs. Le second est seul efficace, et ne peut être atteint que par l’annexion pure et simple de Bokhara à l’empire russe. Il est de la dernière évidence que du jour où les Turcomans ne trouveront plus d’écoulement possible à leur marchandise humaine, ils ne feront pas par simple passe-temps des incursions qui leur offrent plus d’un danger ; car il arrive parfois que les paysans, réduits au désespoir, se défendent eux-mêmes, et les brigands qui tombent en leur pouvoir doivent s’attendre à d’effroyables représailles. Le Turcoman, je ne puis trop le répéter, ne travaille pas pour l’amour de l’art, et il faut bien renoncer aux phrases toutes faites et à l’admiration plus qu’ingénue à laquelle nous avons été accoutumés par les faiseurs de drame