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thèmes tout faits, de voir là un mouvement factice ; je connais assez le pays pour être convaincu que ce mouvement est sincère et raisonné. Les marchands boukhares ne sont ni ignorans ni aveugles de préjugés : ils voyagent sans cesse en Russie, ils vont à Orenbourg, à Saratof, à la foire de Nijni-Novgorod ; ils voient l’administration russe dans ses rapports avec les marchands et les citadins, la sûreté des routes, la régularité des droits de douane ; ils se rappellent la tyrannie cupide et monacale qui les régit chez eux, les routes infestées de bandits avec la complicité de l’émir, les exactions douanières aux portes de chaque bicoque, et le résultat de la comparaison n’est pas précisément un redoublement de sympathie pour le gouvernement de Mozaffer-Khan.

Pour me résumer, la conquête de la Boukbarie terminée et régularisée serait le résultat le plus heureux pour tout ce qui en ce pays mérite notre sympathie et notre intérêt. Elle permettrait à la population productive et honnête de développer les inépuisables ressources de son territoire sous la protection intelligente et éclairée que j’ai vu donner en Transcaucasie aux classes paisibles délivrées de l’oppression des beys demi-brigands de Circassie. Ce qui souffrirait de cette révolution, ce serait l’émir, qu’on internerait à Toula, où on lui ferait une riche pension ; puis les soldats, qu’on verserait avec une haute solde dans les kirghiz de la ligne ; enfin les derviches, les moins intéressans de tous. Cependant, comme il faut que tout le monde vive, ils auraient la ressource d’aller au Turkestan oriental, que leurs confrères ont fait soulever depuis quatre ans contre la Chine, et qui flotte depuis ce temps dans une anarchie furieuse et sanglante qui est l’élément naturel de cette sorte de gens.


III

Je n’ai pas à revenir, après l’exposé aussi complet que vivant qui en a été fait dans la Revue, sur le détail des conflits qui ont amené la Russie de la mer d’Aral aux portes de Bokhara. Je dois cependant faire quelques réserves en ce qui regarde les événemens du Khokand et le caractère de l’intervention russe dans cet état. Le Khokand avait été conquis en 1840 par l’émir boukhare Nasr-Allah, et le khan vaincu avait été mis à mort par l’envahisseur, qui avait emmené à Bokhara le fils de la victime comme une sorte d’otage ; mais les cousins du défunt s’étaient réfugiés chez les Kirghiz, d’où ils revinrent à la première occasion réclamer le pouvoir et protester par les armes contre l’annexion. Ils réussirent