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même procédé. Voici maintenant des reproches plus graves. ; il est vrai qu’il ne s’agit plus de notre Académie, mais de celle de Pékin, qui est bien loin et dont on peut tout dire. « Ce qui est exclusivement chinois, c’est le sans-façon avec lequel l’académie de ce singulier pays distribue les fonds dont elle est dépositaire. L’intrigue, la camaraderie et le népotisme en disposent. C’est la proie des parens, des familiers et des flatteurs, une prime offerte à quiconque épouse les préjugés et les rancunes de l’académie. C’est pour ses membres le moyen de rétribuer sans bourse délier les services de leurs collaborateurs, de leurs aides, voire des constructeurs qu’ils emploient. »

Par ce dernier trait, M. Meunier explique une décision académique, due sans doute à d’autres motifs que ceux qu’il indique, mais qui n’a pas laissé de surprendre assez vivement les gens compétens. M. Meunier du reste ne s’explique pas à demi sur ce sujet, et il met sa pensée dans tout son jour : « Le Fils du ciel (Thian-tseu) avait offert une somme considérable, plusieurs milliers de liang, à celui qui ferait quelque grande découverte dans les sciences physiques. Un appareil servant à produire l’électricité, appareil qui n’est, à ce qu’il paraît, ni notre pile, ni notre machine à plateau (les détails manquent), fut seul jugé digne de cette récompense exceptionnelle. Toutes les parties de cet appareil avaient été inventées, par divers physiciens ; un habile constructeur, combinant ces élémens, sans d’ailleurs y rien ajouter, en avait fait une machine usuelle. Qui a eu le prix, croyez-vous ? Les inventeurs ? Non. Vous pensez qu’au moins on l’a partagé entre les savans et le praticien ? Erreur ! Le prix a été décerné au fabricant, envers qui les membres de la commission avaient contracté de vieilles dettes de reconnaissance qui se sont trouvées acquittées. » Il s’agit toujours, bien entendu, nous n’avons pas besoin de le répéter, des mandarins de Pékin. Même remarque pour l’anecdote qui suit : « Il y a dans la capitale du Céleste-Empire un vieux lettré, journaliste sans abonnés, médecin sans clientèle, mais chinois dans l’âme, une potiche animée. C’est le Benjamin de l’académie. Elle lui décerne un prix tous les ans. Un triomphe aussi régulier est sans autre exemple dans les fastes de la science chinoise. Ce lauréat à vie n’a cependant rien découvert, rien inventé ; rien, pas même l’art d’enguirlander l’académie, mais comme il l’a perfectionné ! » Suit le détail des procédés habiles par lequel cet enfant gâté de la science chinoise sait mériter chaque année un prix académique sans rien produire, alors que deux grands chimistes (Laurent et Ghérardt) n’en ont obtenu qu’un seul à eux deux, et encore après leur mort. Ce qui est certain, c’est que si M. Meunier obtient à son tour des couronnes académiques, — et il n’y a pas lieu d’en désespérer, car il est de ceux qui produisent des travaux originaux, — l’art d’enguirlander les mandarins n’entrera pour rien dans ses succès. Il ne tarit pas quand il s’agit de rappeler les maladresses ou les bévues qui peuvent être reprochées à de doctes assemblées ou à des