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réalisé les nombreuses prédictions que, dans le cours des siècles antérieurs, l’esprit divin aurait dictées à des hommes, miraculeusement inspirés. Tout le monde sait que les anciennes apologies du christianisme reposaient tout entières sur deux colonnes qu’elles s’efforçaient de rendre inébranlables, la réalité des miracles et la réalisation des prophéties. Dès les premiers temps de l’église, les chrétiens firent grand usage de ce dernier genre d’argumens, et de nos jours encore il n’est pas rare de rencontrer des traités où toute l’histoire de Jésus et de l’église est reconstituée au moyen de lambeaux détachés ça et là des livres prophétiques. Par exemple on montre comment il avait été prédit plusieurs siècles d’avance que Jésus naîtrait à Bethléem d’une mère-vierge, qu’il irait en Égypte et en reviendrait, qu’il prêcherait une doctrine pleine de douceur et de miséricorde, qu’il expierait les péchés des hommes, qu’il mourrait dans les tourmens, ressusciterait le troisième jour, étendrait son règne sur toute la terre, etc., etc. Il faut même avouer que, disposés avec art, ces passages, en réalité très incohérens, finissent par faire masse et par frapper les esprits mal armés pour pénétrer au-dessous de ces surfaces trompeuses.

Quand on considère le naïf, l’effrayant arbitraire qui a toujours régné dans l’emploi de cette méthode, on comprend que les Juifs, si familiers avec le texte original de leurs livres saints, n’aient jamais pu voir qu’une série de violences exégétiques dans cette invocation continue de leurs anciens prophètes. Ils ont toujours maintenu, et à très bon droit, le sens historique et naturel des passages arrachés ainsi à leur contexte. Par exemple, quand les chrétiens arguaient du verset d’Ésaïe où les traductions grecques et latines parlent d’une « vierge qui sera mère, » il ne leur était pas difficile de montrer que le texte original parle simplement d’une « jeune femme nubile. » Quand Osée (XI, 1), rappelant la sortie d’Égypte du peuple d’Israël personnifié comme d’habitude sous le nom du patriarche éponyme, met ces paroles dans la bouche de Dieu : « J’ai appelé mon fils hors d’Égypte, » y a-t-il là, en vérité, la moindre allusion au séjour que, selon le premier évangile, Jésus enfant aurait fait en Égypte dans les deux dernières années du règne d’Hérode ? Et ainsi de suite. Dès qu’on se met en face des textes originaux, l’application déterminée que les apologètes chrétiens en font aux événemens de l’histoire évangélique s’évanouit, tout au moins reste fort douteuse. On ne saurait croire combien cette difficulté a tourmenté Pascal, qui pourtant ne recourait pas aux textes originaux. Que de luttes intérieures dans cette pensée qui a l’air de sonner le glas funèbre de la théologie traditionnelle : « Pour examiner les prophéties, il faut les entendre, car si on croit qu’elles n’ont