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la suite, a pu répondre assez bien à notre mot inspiré, mais dont la racine, rapprochée de ses congénères, désigne quelque chose qui jaillit en bouillonnant où qui s’épanche avec un bruissement précipité. Le nâbi, c’est donc proprement à l’origine le bruissant, l’homme de la bouche duquel s’échappe avec volubilité un flux de paroles dont il semble à peine le maître. Que l’on pense à la naïve admiration de nos paysans des régions reculées pour l’homme qui sait leur parler longtemps sans s’arrêter, et l’on aura une idée de la stupéfaction où les inspirés, dans un état de civilisation bien moindre encore, pouvaient jeter leurs auditeurs avec leur éloquence poétique et prolongée. Les autres dénominations, telles que celle d’homme de Dieu, ou de serviteur de l’éternel, sont des épithètes honorifiques plutôt que des noms à signification précise. Le nâbi hébreu, à l’origine, ressemble donc beaucoup au mantis grec et au vates latin. Lui aussi fait croire à une prise de possession de son être par l’esprit divin qui l’agite et littéralement le terrasse. Il y a même quelque chose de contagieux dans l’état du nâbi, comme cela s’est vu chez les prophètes cévenols et de nos jours encore dans l’exaltation des revivalistes anglais et américains. Une vieille tradition d’une grande originalité[1] raconte que les gens envoyés par Saül pour arrêter David tombèrent au milieu d’une assemblée de « prophètes prophétisant, » et se mirent à « prophétiser » eux-mêmes. D’autres émissaires, dépêchés après eux, furent aussi gagnés par l’exemple et « prophétisèrent » à leur tour. La même chose arriva une troisième fois. Enfin Saül lui-même se mit en route, et, chemin faisant, fut saisi par l’esprit prophétique « de sorte que, se dépouillant de ses vêtemens et se jetant par terre, tout ce jour-là et toute la nuit il prophétisa devant Samuel. » L’influence contagieuse de l’état prophétique devait être bien forte pour gagner jusqu’au robuste Benjamite qui porta le premier le titre de roi d’Israël, et qui se distinguait par tout autre chose que ses dispositions mystiques. La surprise causée par cet événement mit sur toutes les lèvres cette question devenue par la suite une manière de proverbe : « Saül est-il donc aussi du nombre des prophètes ? »

Cette explosion de l’esprit prophétique remonte à l’aurore de l’histoire connue d’Israël. À cette époque, le prophétisme est encore dans sa période d’incubation. La divination chez les Hébreux s’exerce à côté de lui sous des formes analogues à celles de la divination grecque. Les songes, les présages extérieurs, les oracles sacerdotaux passent pour des révélations divines. Entre autres, le

  1. Voyez I Samuel, XIX, 20 et suiv.