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menacent les peuples hostiles. On conçoit que cette préoccupation des destinées nationales qui poussait le prophète à interroger constamment les signes des temps, à recueillir les nouvelles, à s’informer de l’état des choses à l’étranger, lui ait souvent valu une grande supériorité sur ses compatriotes dans la prévision des événemens qui allaient éclater. D’ailleurs, par principe, les prophètes n’étaient pas optimistes dans leurs appréciations de l’état contemporain des choses. Là où les cercles militaires et aristocratiques, avec la confiance frivole que leur inspire la haute idée, qu’ils ont toujours d’eux-mêmes, croyaient voir les indices de grands triomphes et de réussites certaines, le prophète, les sourcils froncés et la voix sinistre, dénonçait les signes avant-coureurs d’épouvantables désastres, et la situation était telle que le plus souvent les faits lui donnaient raison. Il paraît même que la réputation de sagacité des prophètes d’Israël dépassa parfois les frontières. On voit des étrangers leur demander des consultations, témoin ce curieux fragment des prophéties d’Ésaïe qui prouve aussi en faveur de la sincérité des réponses, car il montre que, lorsque le prophète ne savait rien, il ne déguisait pas son ignorance.


On me crie de Séir[1] : Veilleur, où en est la nuit ? — Veilleur, où en est la nuit ? — Le veilleur répond : — Le matin arrive, et la nuit aussi.. — Faites des questions, si vous en voulez faire, — mais revenez une autre fois.


Cela signifie que le prophète ne voit pas encore clair dans la situation, et ne veut pas se prononcer avant qu’elle se soit mieux dessinée.

Cette circonspection ne mettait pas toujours les prophètes à l’abri de l’erreur. Il est à présumer que les prédictions trop visiblement démenties par les faits ne nous ont pas été transmises, Comme de coutume en pareil cas, elles seront tombées promptement dans l’oubli. Malgré cela, il en est un certain nombre d’illusoires qui sont venues jusqu’à nous, soit qu’on n’en ait pas compris clairement le sens, soit qu’on en ait reporté l’accomplissement à une époque lointaine, soit enfin que quelques fausses apparences aient fait croire à la réalisation des faits annoncés. Ainsi Osée prédit quelque part que les Israélites seront déportés en masse en Égypte, Ezéchiel affirme que Nébucadnetzar saccagera Tyr ; les prophètes du temps de la captivité s’attendent à la destruction totale et prochaine de Babylone, « qui deviendra comme Sodome et Gomorrhe, » etc. Aucune de ces prédictions ne s’est accomplie. Elles s’expliquent

  1. Les montagnes de l’Idumée, ou pays des Édomites.