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par leur vraisemblance au moment où elles ont été émises, mais elles montrent une fois de plus qu’il ne faut jamais examiner de trop près les infaillibilités traditionnelles quand on veut continuer d’y croire. Si l’on se borne à consulter les livres historiques » il semble toujours que les prophètes sont des devins merveilleux qui savent tout et prévoient tout jusque dans les moindres détails. Il n’en est plus ainsi quand on étudie les prophéties en elles-mêmes. Ce sont surtout les espérances dorées que les prophètes avaient conçues quant à l’avenir de leur nation qui ont été cruellement déçues. Nous n’avons pas à nous en plaindre. Le peuple juif nous a rendu un bien autre service en ne réussissant pas à se constituer en théocratie dominatrice du monde.

En même temps, il faut reconnaître que, sous d’autres rapports, ils ont vu étonnamment juste et loin. Leur foi dans l’indestructible vitalité de leur peuple, leurs prédictions de la renaissance nationale qui suivra à coup sûr les déportations en masse opérées par les vainqueurs, leur sentiment d’une grande mission religieuse dont Israël est chargé dans l’humanité, leur peu de confiance dans la solidité des empires façonnés à coups de sabre par les conquérant ninivites et babyloniens, tout cela s’est trouvé juste, et, toute réserve faite sur les erreurs de détail, dans le sens relatif où nous pouvons prendre ce mot, ils ont été vraiment les premiers voyant de l’antiquité.

Ils ont créé aussi toute une littérature. Par quelle transformation le nâbi des premiers temps, l’improvisateur de discours enthousiastes, devient-il, à partir du IXe siècle environ, un écrivain qui ne se borne plus à parler, qui aime à répandre par l’écriture ses discours et ses prévisions ? C’est ce qui n’est pas encore très bien expliqué. Cela tient sans doute à la formation d’une certaine vie littéraire facilitée par la vulgarisation des caractères inventés à Babylone et répandus par les Phéniciens. Ce ne fut pas seulement la prophétie qu’on se mit à écrire, ce fut aussi le psaume, le discours sentencieux, le récit historique, etc. Plusieurs indices donnent lieu de penser que d’abord le prophète se contenta de graver sur une pierre quelques mots significatifs servant de thème mnémonique à l’explication qu’il en donnait au peuple, ou qu’il confiait à de jeunes disciples. Ceux-ci surtout s’occupèrent de tracer par écrit les enseignemens du maître. Ils n’est pas douteux non plus qu’ils firent une assez prompte expérience de l’augmentation d’influence que leur valait le recours à l’écriture multipliant indéfiniment leur parole ; mais en dehors de ces observations générales il faut avouer que les circonstances de la transformation ne sont pas bien connues. En tout cas, on peut signaler dans cette évolution du