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représentent le prophétisme encore en possession de sa vigueur native et de toute sa poésie. Ce sont les classiques hébreux, et on les appelle les prophètes de l’époque syro-assyrienne, parce que leurs discours sont presque toujours inspirés par la terrible situation que les succès des Syriens et bien plus encore ceux des Assyriens avaient faite aux Israélites.

La seconde série des prophètes écrivains contient les prophètes de l’époque chaldéénne (700 à 536 ans avant Jésus-Christ). Ninive et l’Assyrie ont succombé. C’est maintenant Babylone qui est la ville reine. Sophonie, Jérémie, Zacharie II[1], Habacuc, Ézéchiel, ont vu s’exécuter l’épouvantable mesure qui a transplanté les enfans de Juda sur les rives de l’Euphrate. Cependant les prophètes n’ont pas perdu tout espoir, ils affirment que les déportés reviendront. Jérémie va même jusqu’à assigner d’avance une durée de soixante-dix ans à l’exil de ses compatriotes, et la prétendue conformité de cette prédiction avec l’événement est un des argumens qui ont le plus longtemps accrédité l’opinion vulgaire sur la prophétie. Cependant cette conformité n’est pas réelle. La captivité de Babylone a duré au plus soixante et un ans, et encore à la condition de compter les années à partir de la première déportation qui eut lieu en 597, sous le roi Jojakim, et qui fut peu nombreuse, jusqu’à l’édit de 536, par lequel Cyrus autorisa les Juifs à retourner dans leur pays ; mais il n’est pas douteux que Jérémie entendait simplement par là un espace de temps considérable, non défini. Le langage prophétique se servait parfois de nombres convenus pour désigner une courte période ou une longue, sans prétendre la circonscrire exactement. La preuve en est d’ailleurs que le même Jérémie, après avoir parlé d’un exil de soixante-dix ans sous Jojakjm, répète la prédiction dans les mêmes termes sous le règne de Sédécias, c’est-à-dire sept ou huit ans après[2].

Ce qui montre jusqu’à quel point le prophétisme était l’élément essentiel de la vie nationale des Hébreux, c’est que seul il survécut à la destruction de toutes les institutions sociales et religieuses. Son esprit fut plus fort que la lourde politique des conquérans. On prophétisa sur les bords de l’Euphrate comme on avait prophétisé le long du Jourdain, et même, si la lyre prophétique a déjà perdu quelque chose de sa première fraîcheur, on peut dire que jamais elle n’a chanté d’aussi hautes idées. Ésaïe II et quelques prophètes innomés dont les chants font partie de la collection mise sous le nom commun d’Ésaïe lancent de sublimes imprécations contre

  1. Chap. XII-XIV.
  2. Comp. Jérémie, XXV, 11, et XXIX, 10.