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furent qu’allées et venues de sergens à cheval et d’huissiers à pied, commandemens, significations de saisie, appositions d’affiches, appositions de panonceaux, établissemens de commissaires, ajournemens, assignations, criées, certificats de criées. On se hâtait, on se pressait comme si on eût eu peur que la proie n’échappât ; mais si pressé qu’on fût, comme on voulait faire œuvre durable, il fallait bien suivre la filière des formalités légales, et Dieu sait si elle était longue. Aussi ne fut-ce qu’en janvier 1555 que commencèrent les enchères. Alors seulement Diane parut sur la scène. Jusque-là elle s’était tenue dans la coulisse, soufflant les acteurs, dirigeant toutes les machines, mais en apparence tout à fait indifférente à ce qui se passait. Il est vrai qu’elle n’avait pas lieu d’être inquiète du dénoûment ; aussi avait-elle continué d’agir en maîtresse à Chenonceau, d’y faire des jardins, des parterres, des constructions, et d’y dépenser son argent, c’est-à-dire l’argent du trésor. Le moment venu, elle fit son entrée, et la fit en souveraine. Une première enchère de 27,520 livres ayant été mise par un sieur Marc de la Rue, Diane donna procuration à maître Marcelin Mercier, procureur au grand-conseil du roi, et annonça hautement son intention de surenchérir jusqu’à la somme de 50,000 livres. Cela signifiait qu’elle n’entendait pas la dépasser ; les concurrens se le tinrent pour dit. D’ailleurs, à l’exception d’un seul, François Briçonnet, sieur de Leveville et de Lannoy et proche parent de Bohier, tous les autres n’étaient que des hommes de paille, qui jouaient le rôle de comparses pour plaire à la favorite et ajouter à la vraisemblance de la pièce. Et Briçonnet lui-même, tout parent de Bohier qu’il était, tout disposé qu’il pût être à secourir son malheureux cousin, Briçonnet n’osa pas forcer la duchesse à dépasser le chiffre qu’elle avait fixé. Quand le 31 mars (1555) elle eut mis la dernière enchère à 50,000 livres, personne n’osa lui disputer sa proie. Elle resta seule maîtresse du champ de bataille, et le 8 juin 1555 l’objet de ses désirs lui fût solennellement adjugé.

Mais au milieu de son triomphe Diane n’était pas encore complètement rassurée. Son droit, il est vrai, avait fait peau neuve : il était maintenant fortifié, bardé, cuirassé d’arrêts du grand-conseil, d’adjudications solennelles. Oui, mais elle n’avait pas ses titres de propriété. Après l’arrêt du 8 juin 1554, on les avait expédiés à Bohier pour suppléer aux formalités de la prise de possession réelle. Combien on regrettait maintenant ce surcroît de précautions ! Bohier poussé à bout, Bohier devenu débiteur envers le trésor de la différence entre l’enchère de Diane et la prisée primitive, c’est-à-dire de 40,000 livres, menacé par conséquent de voir saisir et vendre tous ses autres biens immobiliers, Bohier pouvait refuser de rendre ces titres. Il pouvait abattre d’un seul coup tout cet échafaudage de