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procédures si lentement, si péniblement élevé. Comment lui enlever ces armes dangereuses ? Il était toujours à Venise, hors de France et hors d’atteinte. Il fallut négocier. En échange des titres et parchemins de Chenonceau, le roi lui fit remise de ces 40,000 livres que n’avaient point couvertes les enchères de Diane de Poitiers ; mais voici le plus beau de l’affaire. On se rappelle sur quel prétexte était fondée la demande en rescision de la transaction de 1535 : « le trésor, en payant Chenonceau 90,000 livres, avait subi, disait-on, une lésion de plus de moitié prix. » Or maintenant, pour expliquer la remise faite à Bohier, il fallait un nouveau prétexte. Aussi les lettres patentes de Henri II à la date du 16 novembre 1556 déclarent que, tout bien considéré, la vraie valeur de Chenonceau est beaucoup plus considérable que le prix de l’enchère, « et que si les bastimens qui sont sur lesdictes terres étoient à faire, ne se feroient pour cent mil francs, sans le revenu, qui est de grand valleur et assis en ung des meilleurs et plus beaulx païs du royaume, et que ces héritaiges sont de présent à vil prix à cause des guerres… » C’était changer du noir au blanc en cinq années : quoi de plus simple ? le bon plaisir avait changé, ne fallait-il pas que la vérité changeât aussi ?


III

Enfin tout le monde était content ou du moins feignait de l’être. Bohier rentrait en France et ne songeait qu’à relever les ruines de sa fortune : se plaindre, comment l’eût-il osé après la magnanimité dont on avait usé à son égard ? Diane triomphait sur tous les points, et, sa victoire assurée, ne s’occupait que d’embellir sa conquête.

Il n’entre pas dans notre plan de la suivre dans ce rôle de propriétaire paisible. Laissons-la avec ses jardiniers bouleverser à grands frais les jardins de Chenonceau, multiplier contre les invasions du Cher les fossés, les palissades, les douves, les écluses, créer autour de son château des vergers, des potagers, des parterres, faire naître à l’entour ces mystérieux et frais bocages, ces retraites amoureuses qu’avait mises à la mode le goût italien ; laissons-la avec son architecte attitré, noble homme, maître Philibert Delorme, bâtir sur le Cher ce pont qu’avait conçu Bohier, et qui plus tard, sous Catherine, devint une galerie splendide. Bien des détails, curieux à plus d’un titre, pourraient nous arrêter : par exemple l’émulation des courtisans encombrant à l’envi Chenonceau des plantes les plus rares, heureux de faire leur cour au roi en peuplant les jardins de la favorite, ou bien encore l’ingénieux système inventé par Diane pour le paiement de ses travaux : c’était à maître