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une société de bienfaiteurs et par le patriarche, n’eut qu’une durée éphémère[1]. Cette tendance des Arméniens à se grouper pour fonder des écoles, quoique n’ayant pas toujours abouti à un succès complet, n’en est pas moins un symptôme non équivoque de la résurrection morale et intellectuelle que j’ai déjà signalée.

On se figure trop souvent les populations de l’Europe orientale comme plongées dans la stagnation et indifférentes au progrès ; c’est une erreur qui s’évanouit devant une étude attentive des faits contemporains. Le germe de cette activité qu’elles déployèrent dans des temps meilleurs n’est point desséché et détruit en elles. Si elles se laissent volontiers emporter par les appétits matériels, il y a des biens d’un ordre plus relevé, ceux que procure la culture de l’esprit qu’elles savent préférer à tout. C’est le cas pour les Arméniens, dont l’ardeur pour vulgariser l’instruction s’est manifestée par des efforts persévérans et sous les formes les plus diverses.

Pour avoir de bonnes écoles, il faut des maîtres capables, et de ce côté la pénurie était grande et difficile à faire cesser. Il ne pouvait en être autrement. Aucune garantie d’instruction n’était exigée de ceux qui se vouaient à l’enseignement ; ils étaient nommés par les comités de paroisses, et les bonnes gens, marchands ou artisans, qui en faisaient partie auraient eux-mêmes été bien embarrassés de prononcer sur le mérite de leur candidat préféré. Les choses se passaient un peu trop en famille, et plus d’un professeur n’eut jamais d’autre vocation que celle que lui donnait la protection d’un conseiller paroissial, son parent ou son ami. Dieu nous garde de vouloir tourner en ridicule des hommes, d’ailleurs estimables et honnêtes, que les hasards de la destinée ou la misère poussaient à s’improviser instituteurs. Nous n’avons d’autre intention que de signaler les obstacles que rencontrèrent les Arméniens pour organiser l’instruction publique, et le mérite qu’ils ont eu à les surmonter. Ce n’est pas tout. En retour des conditions d’aptitude que l’on était en droit d’imposer aux maîtres, il fallait leur offrir une rémunération qui put mettre leur existence à l’abri du besoin : mais, au lieu d’un budget réglé, on n’avait encore que les éventualités des souscriptions et des dons volontaires. Aussi des hommes d’un savoir reconnu hésitaient-ils à embrasser une carrière aussi ingrate, et le personnel enseignant manquait ou était insuffisant. Ces questions avaient déjà attiré l’attention du comité d’instruction publique établi en 1853, et il était permis de concevoir les meilleures espérances,

  1. Ce n’est pas la même cause qui détermina la chute du collège national créé par les Arméniens de Constantinople, il y a quelques années, dans un des quartiers de Paris, à Grenelle ; ce fut la déplorable administration à laquelle ce collège fut livré.