Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 69.djvu/969

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

petits employés ! Ce qu’il faudrait mettre en parallèle, c’est le fonctionnaire sans fortune l’instituteur primaire par exemple, le commis aux écritures, etc., avec le contre-maître ou même, le simple ouvrier. La situation pécuniaire d’un chef d’atelier dans une grande fabrique est assurément supérieure à celle d’un sous-chef de bureau dans un ministère, et son avenir bien préférable. Souvent, pendant que le sous-chef vieillit dans son bureau en attendant une retraite qui diminuera ses ressources, le contre-maître, devenu patron, gagne une fortune. S’il est obligé de quitter sa place, l’employé de l’industrie trouvera presque toujours à s’occuper dans une autre fabrique, tandis que le fonctionnaire, s’il est destitué, aura peine à se procurer un autre emploi utile de son temps. L’expéditionnaire a-t-il par son traitement une position supérieure à celle d’un commis de magasin, d’un compositeur typographe, d’un metteur en pages ? Si, nonobstant les révolutions survenues dans l’ordre social, on accorde aux employés de l’état un peu plus de considération qu’aux auxiliaires de l’industrie, cette inégalité va tous les jours en s’affaiblissant, et d’ailleurs n’a rien de commun avec la question purement pécuniaire de la rémunération des travaux. Il reste établi en effet que le salaire, sous quelque nom qu’on le déguise, est le prix offert et consenti de toute espèce de labeur intellectuel ou corporel, soit dans l’ordre administratif, soit dans la sphère des intérêts privés. Ce qu’on appelle les honoraires du médecin n’est pas autre chose en soi qu’un salaire péniblement gagné, et pour s’en tenir à cet exemple (car on en citerait bien d’autres) considérez qu’un médecin à Paris, après douze ou quinze ans d’études et une pratique de plusieurs années, se fait à peine un revenu annuel de cinq ou six mille francs : c’est le chiffre moyen des recettes dans la catégorie de ceux qu’on appelle médecins de quartier. Et le médecin de campagne ! Il fait dix lieues par jour, souvent à pied, reçoit en certaines régions moins de 2 francs par visite, et après tant de travaux, tant de fatigues, tant de services rendus à l’humanité, arrive rarement à économiser le pain de sa vieillesse. Il n’est guère dans l’industrie de plus âpre et plus ingrate profession ; il n’en est point de plus respectable. Qui donc oserait dire que ce salaire incertain, marchandé, chétif, a rien de flétrissant pour la main savante et laborieuse qui le reçoit ? Qui s’avisera de chercher là quelque ombre de l’antique esclavage ? Le médecin connaissait d’avance les rudes sentiers où il s’est volontairement engagé ; il eût pu, avec son instruction, embrasser une carrière plus fructueuse ; ce n’est pas à la contrainte des lois, c’est à une généreuse vocation qu’il a obéi, et pour le genre de services qu’il rend aux hommes, on ne saurait imaginer aucune espèce d’association