Page:Revue des Deux Mondes - 1867 - tome 69.djvu/970

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avec part aux bénéfices, aucun mode de rétribution qui n’eût le caractère du salaire. C’est que le salaire, au lieu d’être une dernière marque de servitude, est au contraire un des signes les plus manifestes de la liberté ; c’est qu’au lieu d’avilir, il ennoblit.


II

Cette question vidée, il faut se demander si l’association et la coopération doivent bien produire dans le monde industriel tous les effets qu’on en attend. Ici, je ne suis pas suspect. Je ne pourrais, sans renier mes actes et mes écrits, contester les conséquences fécondes que la coopération est capable de produire. Elle a donné ailleurs d’heureux résultats, et chez nous un plein succès a couronné plusieurs tentatives. Ce qui a réussi en Angleterre et en Allemagne n’est pas condamné à échouer en France, ce qui marche à Paris et à Lyon n’est pas impraticable à Bordeaux ou à Toulouse ; mais en prenant itérativement la responsabilité de ce que j’ai dit ou fait, je tiens à combattre les exagérations qui ont déjà compromis une idée excellente. Le principe de la société coopérative, s’il est appliqué avec prudence, aura dans certains cas et à certaines conditions le pouvoir d’améliorer le sort des ouvriers ; mais les illusions en matière d’industrie sont périlleuses, et il faut les combattre à temps pour prévenir les déceptions.

Le Français a un défaut qui tient à ses qualités les plus brillantes : une fois qu’une idée lui a paru juste, il l’embrasse d’une telle ardeur, l’exalte avec tant d’enthousiasme, la prône avec tant de véhémence, que le public en est bientôt impatienté, et sans autre examen prend en méfiance et presque en aversion cette bruyante nouveauté. La coopération n’a point échappé à ce genre d’épreuve. Après avoir été vantée sans mesure, elle lutte contre un mouvement de réaction ; les éloges dont elle a été couverte au début ne sont plus écoutés, et l’excès de la dépression a même remplacé l’excès de la louange.

Cette malveillance, il faut le reconnaître, a été provoquée par le ton qu’a pris la propagande coopérative. En criant que le petit commerce serait ruiné par les sociétés de consommation, que les sociétés de production supprimeraient les patrons, que toutes les relations sociales allaient être changées, les partisans trop ardens de ce mode d’association ont soulevé contre lui une foule d’intérêts. Le principe en est devenu d’autant plus suspect que, dès le début, quelques hommes s’en sont emparés comme d’un instrument propre à favoriser d’autres desseins. Les partis s’en sont mêlés, et ce qui n’était qu’une question d’affaires s’est, par cette