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le pouvoir du souverain, et à Rome la conscience même du pontife. Il s’agissait de la rupture du mariage religieux du prince Jérôme Bonaparte. A Rome on entrevoyait avec effroi la nécessité d’un refus ; c’est pourquoi on voulait multiplier les expressions d’un dévouement qui n’avait d’ailleurs rien de simulé envers celui qu’on avait si peur d’être obligé de mécontenter prochainement. A Paris, on ne désespérait point de réussir. On témoignait même une confiance peut-être exagérée dans le succès définitif, et l’on croyait en tout cas utile de ne montrer d’abord que ses côtés les plus aimables, sauf à se faire voir ensuite sous un plus redoutable aspect. L’affaire de la dissolution religieuse du mariage contracté en Amérique par le prince Jérôme Bonaparte a été le premier épisode de la lutte engagée entre l’empereur et le saint-père. Jamais depuis ils ne se sont complètement réconciliés. C’est pourquoi il devient nécessaire d’en raconter l’origine et les principaux détails.

Depuis que Napoléon s’était fait proclamer souverain héréditaire, tout ce qui concernait les membres de la nouvelle famille impériale avait pris aux yeux de son chef comme à ceux du public français une considérable importance. La cérémonie du sacre, en soulevant une foule de questions d’étiquette sur le rang que devaient occuper et les fonctions que devaient remplir à l’église de Notre-Dame les frères et les sœurs, les beaux-frères et les belles-sœurs de l’empereur, lui avait fourni l’occasion d’expliquer à Joseph quel rôle il destinait à ses parens dans le nouvel ordre de choses, et à quelles conditions ils pouvaient compter sur sa bonne volonté. Cette conversation si étrange, et d’une si intime rudesse, avait lieu à Fontainebleau quelques jours avant l’entrevue avec le pape. Immédiatement rapportée par Joseph à son confident le comte Miot de Melito, elle projette le jour le plus vif sur la résolution où l’empereur était alors soit de rompre entièrement avec ses frères, soit de les tenir sous sa plus absolue dépendance. Ses paroles, en levant tous les voiles, révèlent exactement les sentimens qu’il entretenait à l’égard de chacun d’eux. Il était bien décidée ne jamais rappeler Lucien, qu’il aimait mieux savoir mécontent à Rome qu’à Paris, trop près de sa personne[1]. Il avait meilleure opinion de Joseph, mais il ne lui convenait pas davantage que celui-ci gardât l’attitude indécise dans laquelle il s’était maintenu jusqu’alors. C’est pourquoi il le sommait d’avoir à prendre une résolution définitive. Il lui fallait ou se retirer de bonne foi des affaires et alors renoncer à tout, ou bien s’unir franchement à lui et devenir en réalité son

  1. « Je sais que vous êtes incapable d’un crime, et que jamais, quels que soient les avantagea que vous pourriez trouver à ma mort, vous ne les achèteriez par un attentat. Je ne pense pas ainsi de Lucien, et voilà pourquoi je l’ai écarté, pourquoi je ne le rappellerai Jamais. » Mémoires du comte Miot de Melito, t. Ier ; p. 238.