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premier sujet. « Si vous prenez le premier parti, celui de la retraite, donnez votre démission sans esclandre, disait Napoléon à son frère ; retirez-vous à Morfontaine, je vous donnerai un million, deux millions, s’il est nécessaire. Vous n’avez rien à craindre de moi. Je ne suis pas le tyran de ma famille ; jamais je ne commettrai de crime, puisque je n’en ai pas commis pour me séparer de ma femme, pour faire un divorce qui avait été résolu dans ma tête jusqu’à mon voyage en Normandie et en Belgique, où j’ai pu connaître la bassesse des Français et m’assurer qu’il n’était pas nécessaire d’en venir là pour obtenir de leur servilité tout ce que je voulais en exiger[1]. ». Dans cette hypothèse, l’empereur songeait à déclarer pour héritier le fils de Louis ; ce système, quoiqu’il put s’en arranger, ne lui convenait pas entièrement. Il n’ignorait pas qu’en écartant Joseph il se livrait complètement à la famille de Joséphine. « Cette famille n’aurait plus alors de frein, et, la faiblesse de Louis ne lui laissant aucun moyen de résistance, il serait exposé à n’avoir entrepris de si grands travaux et supporté tant de fatigues que pour appeler au trône peut-être un homme d’un autre nom. que le sien[2]. » Mais vouloir, continuer à jouir des avantages du rang de prince et rester cependant en opposition avec le système du gouvernement, ce serait de la part de Joseph se déclarer son ennemi, et cela l’empereur ne le souffrirait pas. « Où sont vos moyens d’attaque ? disait un peu cruellement Napoléon à son frère ; où est l’armée que vous avez à faire marcher contre moi ?… Avec quel secours, avec quelles forces me disputerez-vous l’empire ? Tout vous manque, et je vous anéantirai, car enfin vous serez obligé de paraître aux Tuileries ; je vous dirai : Bonjour, prince Égalité, et ce mot vous tuera… » Le parti le plus simple et le plus convenable auquel Joseph dût s’arrêter était donc de prendre son rang naturel dans la monarchie héréditaire. « C’est, un assez beau rôle à jouer, ajoutait l’empereur avec fierté, que d’être le second homme, de France et peut-être de l’Europe. Tout se justifie alors par l’importance du résultat, et ce résultat, vous ne le connaissez pas encore tout entier. Je suis appelé à changer la face du monde, je le crois du moins. Quelques idées de fatalité se mêlent peut-être à cette pensée, mais je ne la repousse pas, et cette confiance même me donne les moyens de réussir[3]. »

Joseph avait un instant paru céder aux conseils de l’empereur, mais pour reprendre bientôt sa première prétention, celle d’être reconnu pour l’héritier direct au trône de France. Un instant Napoléon avait cru trouver moyen de désintéresser l’ambition de son

  1. Mémoires du comte Miot de Melito, t. Ier, p. 239.
  2. Ibid., t. 1er, p. 340.
  3. Ibid., t. Ier, p. 341.