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dont sa politique recommandait le respect. À cette ouverture, le pape répondit par un refus, et M. d’Haussonville cite à peu près en entier la lettre du saint-père.

Cette citation textuelle est un véritable acte d’impartialité, car il est impossible que le lecteur ne soit pas frappé de la singularité de cette pièce, dans laquelle le pape reconnaît que le mariage est nul au nom du droit canon, tout en refusant de déclarer cette nullité, par un scrupule de formalisme qu’on ne saurait prendre au sérieux. Ainsi « la cause canonique de nullité résulte de la clandestinité ; cette cause d’empêchement a été spécialement formulée par le concile de Trente. » L’église a donc le devoir d’annuler l’acte clandestin ; mais par malheur « le décret du concile de Trente n’a pas été publié à Baltimore : il est en conséquence hors du pouvoir du pape de prononcer le jugement de nullité » » Le pape « a ordonné les recherches les plus secrètes et les plus minutieuses aux archives de l’inquisition, pour savoir si le décret du concile de Trente a été publié à Baltimore, et l’on n’a rien trouvé. »

M. d’Haussonville constate que la lettre du pape parut à Napoléon « d’une puérilité ridicule. » Je n’oserai pas répondre qu’elle ne lui fasse pas à lui-même cet effet ; seulement il ne met pas en doute la bonne foi du pape, tandis qu’il reconnaît que l’empereur n’hésita pas à voir dans un refus si étrangement motivé « une preuve surabondante de l’offensante mauvaise volonté du pape et l’intention où le Vatican était de lui être désagréable, et de prendre ainsi sa revanche de l’affaire des Légations. »

Je n’ai pas à me prononcer entre ces deux appréciations. Ce qu’il m’importe de constater, c’est d’une part les motifs et la teneur du refus momentané du pape, de l’autre le retour ultérieur que le pape crut devoir faire sur cette première décision. Cette seconde phase de l’affaire, l’auteur la passe sous silence, ainsi que je l’ai dit en commençant, et c’est peut-être ce silence que je regrette le plus dans son article. Je crois devoir y suppléer.

Quels qu’eussent été les motifs de sa première résistance, le pape n’y persista pas ; s’il ne rendit pas lui-même une bulle pour l’annulation du mariage, il permit que l’officialité diocésaine de Paris prononçât cette annulation par décision du 6 octobre 1806. Le 23 août 1807, le mariage religieux du roi Jérôme et de la princesse Catherine de Wurtemberg fut célébré en grande pompe dans la chapelle des Tuileries. Le prince primat, assisté de plusieurs évêques, officia et donna la bénédiction nuptiale aux époux. Le prince primat n’était ni un prélat français ni un sujet de Napoléon. C’était un prince souverain. On ne supposera probablement pas qu’il ait célébré le mariage de Jérôme sans l’assentiment du pape et en opposition, sur un si grave sujet, avec l’autorité de l’église et du saint-siège ; cette célébration n’est-elle pas la reconnaissance de la radicale nullité du premier, mariage au point de vue religieux ?