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PROSPER RANDOCE.


mantiques. Son tort était de trop se ressouvenir en écrivant et de prendre pour des trouvailles de son génie toutes les bonnes aubaines de sa mémoire. Le Vieillard stupide, il Vaimel et le Charlemagne y pardon ! étaient ses deux chevaux de bataille ; il les fourrait partout, avec des dagues, des lances, des échelles de corde, des sons lointains de cor dans l’ombre, des casaques de soie, des chapeaux à plume et toute la défroque fripée du romantisme. Il est dangereux de faire redire à une petite trompette les éclatantes fanfares d’un clairon de haut bruit.

Quand il eut fini, il s’en alla dîner, voyant l’avenir en rose et chantonnant entre ses dents : — Didier, mon ami, si tu n’existais pas, il faudrait t’inventer !

De son côté, Didier faisait ses petites réflexions. Prosper l’avaitil pris, oui ou non, pour M. Dubief. Cet important problème lui tenait l’esprit en suspens ; il ne savait comment s’y prendre pour éclaircir ses doutes. — Je suis tenté de croire, se disait-il, que Prosper est sincère et que Randoce est habile. Prosper part de la main, il n’est pas maître de son premier mouvement, il m’a confessé naïvement qu’il avait des goûts dispendieux et que le jeu fournit à sa dépense. Randoce l’a laissé dire ; ce Randoce me connaît bien, il a deviné que la franchise a des séductions auxquelles je ne résiste pas. Reste à savoir si c’est Prosper ou Randoce qui est myope et lequel des deux a imaginé que mon paletot gris ressemble à celui de M. Dubief.

Didier n’était pas sans se faire quelques reproches ; il sentait qu’il avait mal rempli ses fonctions de tuteur, faiblement prêché contre le jeu et mis trop d’empressement à offrir les quinze cents francs. Son laisser-aller, son extrême facilité d’humeur, risquaient, comme le lui écrivait M. Patru, d’induire son frère en tentation. Le lendemain, pour l’acquit de sa conscience, il résolut de se rendre chez M. Dubief, et, tout en marchandant quelque objet d’art, de s’informer si Prosper avait payé sa dette. M. Dubief était un homme à voir, et qui pouvait lui fournir d’utiles renseignemens sur son Télémaque. Il se mit en chemin ; arrivé à la porte et comme il avait déjà la main sur le bouton, le cœur lui faillit. La petite enquête qu’il s’était proposé de faire répugnait à sa délicatesse ; il tourna bride et s’en alla. Cependant il ne tarda pas à se reprocher sa lâcheté, il revint sur ses pas, et, sa résolution faiblissant de nouveau, il perdit une demi-heure à passer et repasser devant le magasin. Enfin, prenant son parti, il entra d’un air délibéré, sous le prétexte d’examiner un charmant groupe d’Andromède et de Persée qui était exposé à la vitrine. Pendant qu’il devisait avec M. Dubief, le nom de Randoce lui vint plus de dix fois au bout de la langue ; impos-