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très heureuse de voir finir enfin les déplorables anxiétés d’une situation insupportable. »

La restauration ne changea point la situation de M. de Barante ; il n’en reçut point de faveur marquée, point de grand et rapide avancement dans sa carrière ; il ne demanda rien, pas plus aux Bourbons qu’à l’empereur Napoléon, et il resta préfet à Nantes. Il avait dans l’âme plus d’élévation que d’ambition et dans la conduite plus de réserve digne que d’initiative hardie. D’ailleurs, quoique jeune encore, il était déjà de ceux qui, en présence des grands événemens, soit qu’ils les approuvent ou qu’ils les regrettent, n’en sont ni éblouis ni intimidés, les considèrent d’un œil ferme sous leurs faces diverses, et gardent l’indépendance de leur pensée et de leur vie. Il ne se dissimulait ni les tristesses et les périls de la situation publique, ni les défauts et les faiblesses du pouvoir relevé. Cependant, à tout prendre, le nouvel ordre de choses lui plaisait, et comme bon citoyen et pour ses propres goûts. C’était de la liberté et de la paix au lieu du despotisme et de la guerre. Dans la restauration, il y avait de plus de l’ancien et du moderne, de la tradition et de l’innovation ; c’était l’unité, sinon l’union, rétablie entre les diverses classes de la nation ; les principes de 1789 étaient consacrés dans la charte ; la monarchie constitutionnelle commençait enfin avec ses racines historiques et ses conquêtes libérales. On pouvait craindre beaucoup ; mais on pouvait aussi beaucoup espérer. M. de Barante était de ceux en qui l’espérance l’emportait sur la crainte, et qui se promettaient du régime nouveau un heureux avenir. Aussi, quand l’empereur Napoléon revint de l’île d’Elbe tenter sa dernière aventure, la plus héroïque et la plus égoïste de sa part, la plus funeste pour la France, M. de Barante fut désolé et n’hésita pas un instant : il donna immédiatement sa démission de préfet et témoigna hautement sa douloureuse opposition. Le retour de Louis XVIII l’avait trouvé bienveillant sans empressement ; les cent-jours firent de lui un royaliste décidé.

Le royaliste fut bientôt appelé à faire envers son parti acte d’indépendance et de clairvoyance, comme il l’avait fait naguère dans ses fonctions de préfet envers le gouvernement impérial. L’empire des cent-jours était tombé ; une réaction naturelle et violente avait amené des élections en harmonie avec les événemens ; la chambre de 1815 était réunie ; une situation toute nouvelle, sans exemple depuis 1789, apparut brusquement. Le parti hostile à la révolution et à l’empire avait l’ascendant d’une victoire qui n’était pas son propre ouvrage ; bien plus, il avait en main les armes de la nouvelle lutte près de s’engager ; il était en possession des institutions et des forces du régime représentatif et de la liberté politique. Il en usa