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reconnue empereur des Français, mais non pas empereur de Rome. Il n’existe pas d’empereur de Rome, il ne peut pas en exister sans que le souverain pontife soit dépouillé de l’autorité souveraine qu’il exerce à Rome. Nous savons bien qu’il existe un empereur des Romains, mais c’est un titre électif, purement honorifique, reconnu par toute l’Europe et par votre majesté elle-même comme appartenant à l’empereur d’Allemagne et qui ne peut être porté par deux souverains à la fois… Votre majesté nous dit que nos rapports avec elle doivent être ceux qui ont existé entre nos prédécesseurs et Charlemagne. Charlemagne trouva Rome dans les mains des papes. Il reconnut et confirma sans réserve leurs domaines et les augmenta par de nouvelles donations ; mais il ne prétendit jamais exercer aucune suprématie sur les papes, à ne les considérer même que comme simples princes temporels. Jamais il n’exigea d’eux aucune dépendance ou sujétion quelconque… Finalement dix siècles se sont écoulés depuis les temps de Charlemagne, qui rendent inutile de remonter à une plus antique origine… Nous sommes donc placé dans la nécessité de faire observer à votre majesté que les principes qu’elle a avancés ne se peuvent soutenir. Il nous est encore moins possible d’adhérer aux conséquences qu’elle en veut tirer… Nous ne saurions, par exemple, admettre la thèse par laquelle votre majesté pose en fait que nous devons avoir pour elle les mêmes égards dans le temporel que votre majesté aura pour nous dans le spirituel. L’étendue donnée à cette proposition dénature entièrement et détruit l’essence même de ces deux pouvoirs. Les objets spirituels n’admettent pas en effet de simples égards. Ils ne dérivent pas des principes humains et des relations politiques, qui sont susceptibles de plus ou de moins d’extension. Ils relèvent du droit divin, ils sont d’une essence supérieure et transcendante qui ne supporte aucune comparaison avec les objets temporels. Un souverain catholique n’est tel que parce qu’il professe de se conformer aux décisions du chef visible de l’église et de le reconnaître comme le maître de la vérité et le seul vicaire de Dieu sur la terre. Il ne peut donc y avoir ni identité ni égalité entre les relations spirituelles d’un souverain catholique avec le chef de la hiérarchie et les relations d’un souverain temporel avec un autre… La seconde conséquence que votre majesté veut tirer de ces principes, c’est d’établir que tous ses ennemis doivent nécessairement devenir aussi nos ennemis. Cette doctrine est absolument contraire au caractère de notre mission divine, qui ne connaît point l’inimitié, pas même envers ceux qui se sont malheureusement séparés du centre de l’unité, et nous ne saurions y souscrire sans rompre le lien de la commune paternité qui existe entre les souverains pontifes et tous les souverains qui sont dans le giron de l’église, car d’après la proposition même de votre majesté chaque fois qu’une puissance catholique serait en guerre, il nous faudrait la traiter aussi en ennemie. »